Mise en scène et adaptation : Matthias Fortune Droulers et Ivan Herbez
Avec Léa Dauvergne, Benjamin Duc, Matthias Fortune Droulers, Ivan Herbez, Anne-Sophie Liban, Bertrand Mounier
Le théâtre, planisphère de la transgression spatio-temporelle ? Au 17ème siècle, l’unité de lieu, d’espace et de temps était la règle, Molière n’avait pas à se poser la question. Il avait cependant un sens aigu des turbulences humaines, et avait si bien les pieds sur terre, comme un paysan par exemple, qu’il pouvait l’entendre trembler ou s’émouvoir sous les piétinements de ses congénères.
C’est ainsi que la musique devint une partenaire de ses comédies ballets, notamment Georges Dandin et le Mariage forcé que la Compagnie HOMARD BLEU a contractées en une seule pièce, en la transposant à l’époque de la grande dépression des années vingt et trente aux États Unis.
Molière ne tient pas à proprement parler des discours faute de quoi ses messages plutôt visionnaires seraient tombés dans la langue de bois. Ses paramètres sont essentiellement sensitifs. S’il pressent que tous les acteurs de la société, se trouvent bien ou malgré eux ligotés par la pression sociale, il ne cesse de vouloir pencher sa réflexion, sa critique des mœurs, sur la brèche, lieu du conflit social, ce qui témoigne d’ une perception très politique.
Dans ces deux pièces Georges Dandin et le Mariage forcé, Molière s’interroge sur le désir de transgression sociale qui pousse un paysan fortuné, Georges Dandin dans les bras d’une jeune noble Angélique désargentée. Cette mésalliance le conduira à sa perte. Et pourquoi donc ? Sans doute parce que l’argent et l’amour ne font pas bon ménage, parce qu’il serait illusoire de se procurer le bonheur avec une belle bourse.
Les mariages de raison devaient être la règle au 17ème siècle. L’on pourrait croire que Molière n’enfonce que des portes ouvertes. En vérité ce qui l’intéresse c’est de donner la parole aux protagonistes eux mêmes. Ainsi, nous entendons Georges Dandin ne cesser de se lamenter sur son sort, celui d’être tombé dans le piège tendu par ces beaux parents qui lui ont vendu leur fille en échange d’un titre de noblesse. La belle Angélique se révèle peu aimante, pire, elle le fait cocu.
Qui voudrait plaindre Georges Dandin qui a acheté la belle Angélique comme on acquiert un beau cheval. Il est handicapé au niveau du cœur, peu capable de sentiments, mais il est handicapé aussi par un complexe social que se réjouissent d’exacerber ses beaux parents. Nous pourrions imaginer que ses infirmités pourraient le rapprocher d’Angélique laquelle se trouve limitée dans son désir de liberté par son sexe, ne lui permettant pas de déroger aux volontés parentales. Il n’en est rien car plutôt que se plaindre, Angélique se révolte, ose l’interdit, celui de prendre un amant. Or d’un point de vue religieux et légal, l’adultère est un crime. Il peut d’ailleurs faire l’objet d’un constat par huissier toujours en vigueur.
De nombreuses clauses constituent les contrats de mariage, celles portant sur les biens des époux ne sont pas innocentes. Est-ce à dire que l’argent est un des fondements de nos sociétés, qu’il est un acteur vivant qui travaille toutes les couches sociales, de bas en haut bien évidemment.
Toutes ses considérations soulignent la modernité de ces pièces, leur résonance contemporaine. Le décor, l’environnement propres à la période choisie par la Compagnie HOMARD BLEU, celle de la grande dépression économique de 1929, n’ont rien à voir avec le 17ème siècle de Molière, croit-on. Pourtant, les mœurs ont si peu évolué qu’elles continuent à nous interpeller au delà des frontières spatio-temporelles.
Nous sommes tous victimes des apparences, en nous promenant dans Paris dans les beaux quartiers, nous pouvons dire que Paris est une belle ville, riche et scintillante mais si nous passons de l’autre côté du trottoir où un SDF dort sous une bouche de métro, dirons nous que Paris est une ville de misère ?
L’hypocrisie règne dans la société humaine nous dit Molière. Le public populaire et la cour royale réclament du spectacle, du rire, de la farce, des lampions avec des fêtes foraines, de la musique dansante, Molière abonde volontiers dans leur sens, mais derrière le faste et la fête, il sait bien que des drames dont ses héros sont porteurs feront tomber les masques. Ce sont des personnages dans un dénuement moral confinant au tragique qu’il exhibe sur scène. A cet égard, la révolte d’Angélique qui rêve de liberté sexuelle nous touche profondément.
Nul besoin d’assombrir le tableau, la jeune Compagnie HOMARD BLEU respecte l’engagement de Molière à faire rire le public, à l’égayer, à le distraire, elle réussit à réunir les musiques de Lully et Purcell, celles du jazz et du swing. Les clins d’œil aux années trente qui se réfèrent au slaptick de Chaplin ou Keaton, dans des scènes muettes sont bienvenus.
Mais l’essentiel est bien la présence des personnages, Georges Dandin devenu de la Dandinière, Angélique, son amant et les beaux parents qu’incarnent les comédiens attentifs à laisser fuser toute la verve de Molière, la virulence de sa critique sociale.
Franchement, il est émouvant de voir sur scène cette jeune compagnie dynamique et talentueuse, si réceptive au génie de Molière. Signe que Molière n’a pas pris une ride et osons ce jeu de mots qu’il nous déridera toujours.
Paris, le 4 Décembre 2016 Evelyne Trân