Poème placé en exergue de Si c’est un homme
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Vous qui vivez en toute quiétude Bien au chaud dans vos maisons, Vous qui trouvez le soir en rentrant La table mise et des visages amis, Considérez si c’est un homme Que celui qui peine dans la boue, Qui ne connaît pas de repos, Qui se bat pour un quignon de pain, Qui meurt pour un oui pour un non. Considérez si c'est une femme Que celle qui a perdu son nom et ses cheveux Et jusqu'à la force de se souvenir, Les yeux vides et le sein froid Comme une grenouille en hiver. N'oubliez pas que cela fut, Non, ne l'oubliez pas : Gravez ces mots dans votre cœur. Pensez-y chez vous, dans la rue, En vous couchant, en vous levant ; Répétez-les à vos enfants. Ou que votre maison s'écroule, Que la maladie vous accable, Que vos enfants se détournent de vous. Turin, janvier 1947, Primo Levi
Distribution
Mise en scène et jeu Serge Barbuscia
Orgues Maurizio Salerno, Luc Antonini
Production
Coproduction Musique Sacrée en Avignon, Festival d’Avignon
En partenariat avec l’association Orgue Hommage à Messiaen, la Mairie de Roquemaure, l’association des Amis de l’Orgue de Roquemaure, la Mairie de Malaucène, l’association des Amis de l’Orgue de Malaucène, le Festival des Choeurs Lauréats de Vaison-la-Romaine, le Théâtre du Balcon
Nous souhaiterions presque nous abstraire de la beauté du site, la basilique des Doms d’Avignon, ne pas céder à la tentation d’extase musicale que procure l’écoute de l’oratorio « les sept dernières de paroles du christ » commandé à Joseph Haydn en 1786 pour la semaine sainte, en tant qu’accompagnement aux paroles attribuées au christ lors de sa crucifixion.
Peut être parce qu’il est possible d’avoir mauvaise conscience de satisfaire notre curiosité, notre désir de sensations sublimes alors même que ce qu’il nous est proposé d’entendre c’est à travers des extraits de l’œuvre de « Si c’était un homme » de Primo LEVI , un témoignage, juste la parole d’un homme en somme, en quête d’humanité, qui vient de subir une expérience de déshumanisation, de négation totale de l’idée que quiconque dans sa vie ordinaire peut se faire d’un humain.
Primo LEVI n’a pas fait partie de ces victimes du camp d’Auschwitz sélectionnées pour la chambre à gaz. Il a pu observer, tout en faisant partie, ceux qui étaient condamnés à une mort lente, à se vider de leur substance jusqu’à s’effacer du monde des humains.
Primo LEVI a conscience que l’expérience qu’il a vécue est impossible à communiquer. En tant que survivant, il a pu sauvegarder en lui ce réflexe d’assistance à personne en danger. C’est le sens, l’essence même du mot humain qui s’est déchiré sous ses yeux. Après une telle épreuve, une remise en question de l’homme, de ses valeurs, de ses croyances balayées par une réalité meurtrière innommable, s’impose. Aucun homme n’est préparé à vivre des situations aussi extrêmes. La glorification des héros ne sert que de bouclier et d’écran artificiel, de déni de la fragilité morale, psychologique, physique d’un homme mis en danger par un autre. Œil pour œil, dent pour dent, là n’est pas la question.
Il est question de survie. Primo LEVI n’ a pas seulement éprouvé l’humiliation morale, il a éprouvé la tentation de l’oubli. Après une catastrophe, après la mort, la vie reprend ses droits et son cours ordinaire, tout se passe comme si rien ne s’était passé, ce qui signifie que ce malheur là profitant de l’oubli peut à nouveau se déclarer.
Qu’est ce qui fabrique un homme ? Pour paraphraser Simone de BEAUVOIR, nous pourrions dire, on ne naît pas humain on le devient . Il ne s’agit pas tant d’une quête d’identité que de donner un sens humain à l’existence, puisqu’évidemment la destruction de l’homme par l’homme n’a pas de sens.
Le message de Primo LEVI est humble, il ne s’adresse pas aux héros, à ceux qui cultivent la force pour écraser les plus faibles, il s’adresse à ce qu’il y a de plus d’ordinaire, d’enfoui aussi dans la conscience, nos réflexes de lâcheté, de peur et de haine que la raison si elle n’est pas accompagnée de volonté, ne suffit pas à contenir.
Nous pouvons remercier Serge BARBUSCIA d’avoir fait entendre ce message de Primo LEVI qui parcourt son corps tout entier et dont la voix parfois paraît aussi émue que celle d’un enfant…
C’est beau parce que nous sommes vivants, ne l’oublions pas !
Paris, le 24 Juillet 2016 Evelyne Trân