Mise en scène : Julien Barbazin
Avec : Benjamin Mba
Edition(s) du festival : 11ème édition (2016)
D’Angelica Liddell
Mise en scène : Julien Barbazin
Avec : Benjamin Mba et Céline Morvan (voix)
Son : Antoine Lenoble et Charles Barbazin
En coproduction avec la Cie les Ecorchés (Dijon)
Saisissante apparition d’un être hybride, accoutré d’une belle longue et lourde, rutilante robe rouge qui évoque le faste, le luxe d’une société décadente, le visage noir barbouillé de blanc jusqu’au cou, les mains osseuses et fines mises en valeur par des gants de soie, quelle est donc cette créature, cette caricature de femme qui remplit l’espace d’une petite cave, avançant au milieu du public aussi impressionnante qu’une mante religieuse, qu’une étrangère venue d’un autre monde ?
Face à elle au fond du mur, juste un drapeau avec des étoiles et un micro qui permettent d’imaginer l’invisible mais incontournable homme politique prêt à entonner quelque discours d’inauguration juste avant le cocktail et les petits fours.
C’est à ce notable dénommé Monsieur LA PUTE que probablement s’adresse la créature d’une voix suave, un tantinet moqueuse et obséquieuse, rappelant son goût pour l’art, les belles filles, le raffinement en toutes choses.
Mais dans quel monde sommes nous ? La royauté espagnole, ses enluminures, Velázquez ? l’élégante créature peut fort bien drainer ces clichés derrière elle, mais son visage outrageusement peint en blanc dit autre chose. Adieu Velàsquez, adieu petits fours et champagne ! L’image de la belle Espagne vient d’être salie. Une de ses splendides plages est devenue le rendez vous de drames sordides qui se sont répétés de jour en jour . Angélica LIDELL fait référence à ces clandestins qui meurent chaque année en tentant de traverser le détroit de Gibraltar . Quelle horreur ! Les braves vacanciers en train de dorer leurs fesses au soleil ont vu se traîner sur le sable une femme agonisante accouchant d’un enfant. D’autres cadavres ont suivi. Les touristes ont regardé, ils n’ont rien fait, les pauvres.
Après tout, il ne s’agissait que de ces migrants noirs, des humains certes mais qui n’ont pas les mêmes valeurs que vous Monsieur LA PUTE, rappelle à bon escient la créature.
Le drame de ces migrants qui veulent échapper à la misère, c’est qu’ils ont la naïveté de croire qu’ils seront bien accueillis dans les pays riches. Embarqués sur des bateaux de fortune, faisant l’objet d’un trafic impitoyable, certains sont jetés à la mer et dévorés par les poissons.
Une vision qu’accapare l’imagination indignée d’Angélica LIDDELL, une auteure, metteure en scène , comédienne espagnole qui se décrit comme une résistante citoyenne . Non, les cannibales ne mangent pas les cannibales lance t-elle à Monsieur LA PUTE. Mais ne faut-il pas craindre une mutation des poissons nourris de chair humaine ?
Décrépitude, inertie d’une société ankylosée qui aurait perdu le sens même du mot humanité. Faut-il donc que le terme humanité soit réservé à ceux qui ont figure humaine, qui ne respirent pas la misère, qui n’échouent pas comme des bêtes, des baleines victimes de la pollution sur nos belles plages ! Qu’ils crèvent mais qu’ils crèvent donc ces mammifères indignes de ce doux nom d’humains !
Mais la roue tourne nous dit en substance Angélica LIDDELL . Car une société qui n’est pas capable de reconnaître les siens, qui est viciée humainement, va à sa perte. Est-il si loin le temps où régnaient seuls sur notre planète, les poissons ?
La mise en scène terriblement suggestive de Julien BARBAZIN met en valeur de façon très vigoureuse, l’indignation douloureuse d’Angélica LIDDELL.
Nous avons été absolument bluffés par l’interprétation phénoménale de Benjamin MBA, qui incarne une créature qui n’est plus qu’une caricature d’humain lorsque par exemple, l’homme noir se trouve « obligé » de se barbouiller en blanc, qu’il est mutilé par le regard de mépris de la bonne société. Quand la créature laisse tomber son masque, sous le grondement de sa colère, le message passe, il est terrible, si expressif, qu’il va au fond du cœur, pour l’impressionner . C’est un énorme point d’indignation !
Une véritable petite perle que ce spectacle qui fait partie des propositions du Festival des Caves créé et organisé par Guillaume DUJARDIN depuis 10 ans. Dans ce festival de création les représentations ont lieu dans des caves prêtées par des particuliers ou d’autres lieux secrets dont les spectateurs ne découvrent l’adresse que la veille. L’accès aux caves est limité à 19 personnes. Guillaume DUJARDIN ne se soucie pas de l’audience, ce qui lui importe c’est la proximité des comédiens avec le public. Cette année le festival affiche trente-deux spectacles dans quatre-vingts communes, soit plus d’une centaine de caves, pour un total de trois cents dates en deux mois.
Paris, le 12 Juin 2016 Evelyne Trân