
Adaptation et mise en scène : Antoine Caubet
Avec Cécile Cholet et Christian Jehanin
Régie générale : Victor Veyron
Quel dommage que CIORAN soit rangé dans la catégorie « philosophes » dans les bibliothèques . Car il y a cette suspicion de jargon philosophique souvent pesant qui n’engage guère le lecteur aventureux à la recherche de quelques feux follets d’âme, qui soupirent, croit-il toujours, à l’intérieur de quelques pages serrées et qui n’attendent qu’un doigt invisible, inattendu, pour frémir, s’envoler.
CIORAN à mon sens est un véritable poète. A la faveur de cet entretien qu’il eût avec Léo GILLET à la Maison DESCARTES à Amsterdam, en 1981, transposé et mis en scène par Antoine CAUBET au théâtre de l’ATALANTE, les spectateurs vivent une véritable rencontre avec un voyageur de la pensée de façon quasi aérienne.
CIORAN ne fait pas une conférence assis derrière un bureau, il se trouve dans une salle de café restaurant et répond aux questions d’une charmante hôtesse, Cécile CHOLET, qui semble peser l’air très tranquillement, juste à l’écoute comme ces bibliothécaires qui accueillent les lecteurs sans faire de bruit. Est-ce à dire que la pensée d’où qu’elle vienne, du lecteur et de l’écrivain, c’est ainsi qu’elle forme un tout, a besoin d’attention, pour s’exprimer, qu’invisible naturellement, furtive, elle est capable de tressaillir en s’entendant elle même, elle se surprend d’émerger du cerveau d’un tel, mais elle jouit aussi de pouvoir circuler en silence.
A l’époque de l’entretien, CIORAN a soixante dix ans, il a écrit beaucoup de livres dont les titres qu’énumère la jeune femme ont tous une connotation négative : les Cimes du désespoir, De l’inconvénient d’être né etc. CIORAN répond simplement qu’il a écrit pour passer le temps, pour s’occuper, qu’il n’avait pas de métier. Exilé de Roumanie, en 1946, apatride, il a vécu comme un éternel étudiant à Paris, la plupart du temps à l’hôtel dans le quartier latin. Est- ce à dire que tous ces livres formaient en somme les rames qui lui ont permis de pousser sa barque silencieuse pendant ses nuits d’insomnie, à la rencontre d’autres âmes errantes et solitaires.
Le personnage interprété par l’excellent Christian JEHANIN est sympathique. Visiblement, CIORAN aime la vie. Il est attaché à ses surprises, à ces inconnues, ce sont les comportements irrationnels des êtres qui l’inspirent. S’il est philosophe, il l’est par ce désir d’exprimer l’intime, l’expérience, il s’agit d’une mémoire consentie aux personnes rencontrées . Et c’est la raison pour laquelle aussi qu’un lecteur de ses aphorismes peut les lire comme des haïkus, véritables pense bêtes d’ironie douce et pétillante.
Délicieuse rencontre qui donne vraiment envie de découvrir les livres de CIORAN, qualifié de nihiliste, sceptique et même de fasciste.
Ce qui ressort de cette rencontre, tout de même, c’est qu’il ne faut jamais s’arrêter aux étiquettes et donc aux apparences qui exercent leur police pour faire barrage aux inconnus que nous sommes.
Dans cet entretien, CIORAN s’exprime avec une telle simplicité que nous voudrions la faire nôtre. Évidemment, cette simplicité recouvre beaucoup de tumultes et de tourments, mais l’humour de CIORAN y ajoute cette lueur d’humanité, qui éclaire, oui, fait sursauter l’âme.
Paris, le 17 Avril 2016 Evelyne Trân