Traduction et Adaptation : Teresa Rita Lopes Mise en scène : Laetitia Lambert
Comédien(s) : Olivier Broda
Musique : Yvan Paulik
Lumières : Gilles Gaudet
Décors : Noëlle Ginefri
Oh poètes, faites donc un nœud à vos mouchoirs ! Saillant ce nœud comme le nombril du monde, figurera le lieu de naissance de PESSOA qui signifie Personne.
Né à Lisbonne en 1888, Fernando PESSOA est en quelque sorte un métis culturel. De formation anglaise puisqu’il vécut entre 1896 et 1905 à DURBAN en Afrique du Sud, il retourna à 17 ans au Portugal et devint le chef de file du modernisme portugais.
Néanmoins de son vivant, il ne publia qu’un livre « MENSAGEM ».Il écrivit sous plusieurs identités, des hétéronymes, reflets de sa personnalité complexe et donc à ne pas confondre avec des pseudonymes.
La pensée de PESSOA fait songer à une vague à l’intérieur de laquelle ceux qui s’y laissent ballotter, éprouvent qu’ils font partie de la mer, un peu comme l’embryon dans le ventre de la mère, presque en apesanteur.
Teresa Rita LOPES, frappée par l’étendue de l’œuvre de PESSOA (27000 manuscrits furent retrouvés après sa mort) imagine la traversée d’un voilier dans cette haute mer, qui parvient à remonter le courant de sa poésie à multiples figures, celle de PESSOA et de ses hétéronymes.
Ce qui frappe d’emblée chez PESSOA c’est la légèreté de son souffle qui lui permet de voyager, de rester sur le fil de l’eau, sans se laisser submerger.
Nous découvrons avec lui que la pensée couvre l’espace qu’elle peut être fluctuante, irraisonnée, sans objet et qu’elle peut être aussi substance fluide que terrienne dès lors qu’elle s’exprime, qu’elle tend à s’exprimer à travers tous les pores du corps, qu’elle habite, qu’elle occupe.
Souvent et malgré eux les poètes doivent traîner ces lourdes chaînes de mots usés, rouillées par l’habitude, des mots objets. Chez PESSOA c’est une pensée interrogative qui s’exalte, qui court-circuite, un peu comme ce soleil dans l’eau, annoncé par Rimbaud. PESSOA a charge d’âme. Est-t-elle prisonnière, est- elle en train de longer une crête de falaise, s’associe t-elle à tous ces signes muets qui troublent la conscience ? Quoi un oiseau immobile au-dessus d’un grand lampadaire, quoi une fleur ? « Le papillon est, sans plus, papillon et la fleur, fleur, sans plus. » écrit-il.
PESSOA qu’on a nommé poète « sensationniste » est certainement un homme oiseau. Nous sommes tous oiseaux, d’ailleurs, si nous nous souvenons que nos yeux nous permettent de voler et de se poser sur les choses.
Curieusement actif, ce poète contemplatif. Il ne fixe pas de vertiges, il en fait partie.
Quelques images flottantes courent sur la voile du voilier tel un œil ouvert visualiserait un poème adressé à la mer. Mouvement de vagues, silencieux autour de la figure du poète. Étrange et pourtant cohérent contraste entre le film très intérieur de Lætitia LAMBERT et la présence très physique d’Olivier BRODA.
Par la voix grave et vibrante d’Olivier BRODA, les paroles de PESSOA nous arrivent extraordinairement concrètes. Les spectateurs peuvent avoir l’impression d’être sur un bateau pour une croisière dans la mer de PESSOA, onirique et sensuelle, renversante. Il faut, musique des vagues aimer, se laisser pénétrer, lâcher prise…
Paris, le 5 Mars 2016 Évelyne Trân