Texte, mise en scène et lumières : Jean Chollet-Naguel
DistribuTion : Nathalie Pfeiffer, Pauline Klaus, Karim Bouziouane
Voix off: Roland Giraud
Mondialisation oblige, personne n’est censé, aujourd’hui, ignorer des pratiques criminelles qui sous couvert d’une justice étatique ou religieuse perdurent dans plusieurs pays.
La lapidation est une forme d’exécution qui s’adresse principalement aux femmes jugées pour le crime d’adultère dans des sociétés patriarcales qui considèrent la femme comme un bien, un objet, le crime d’adultère étant une violation de la propriété du mari, un déshonneur qui ne peut être lavé que par le châtiment de la femme.
Il est difficile de se représenter aujourd’hui au 3ème millénaire, la triste réalité des conditions de vie des femmes dominées par les hommes. Songeons qu’en France, il y a seulement quelques décennies, une femme mariée devait demander l’autorisation à son mari pour signer des chèques ou des actes administratifs. Ce n’est qu’en 1938 que le Code Napoléon de 1804 fut modifié pour faire valoir que la femme ne devait plus obéissance à son époux.
Quel rapport avec le sujet de la pièce LAPIDEE de Jean CHOLLET-NAGUEL sinon pour souligner qu’il a fallu des siècles de luttes ne serait-ce qu’en France, pour que les droits des femmes s’alignent sur ceux des hommes et ce n’est pas fini !
D’autres pays n’ont pas évolué de la même façon, voire même, ils sont restés figés sur des lois archaïques qu’ils appellent coutumes, pour les justifier. Il est inimaginable pour eux de s’aligner sur des lois occidentales qu’il jugent « dépravées ».
Il faut le reconnaître nous pouvons nous éprouver blasés puisqu’impuissants lorsque nous lisons une dépêche d’AFP nous annonçant la lapidation d’une femme accusée d’adultère et de prostitution par des djihadistes d’Al-Qaïda au Yémen, le 4 Janvier 2016.
C’est justement pour lutter contre l’ indifférence, la passivité des instances politiques internationales, que Jean CHOLLET-NAGUEL de façon très démonstrative entend sensibiliser l’opinion.
Il met en scène une jeune femme hollandaise, Aneke, qui a tous les atouts d’une femme libérée, elle est médecin et tombe amoureuse d’un étudiant yéménite, Abdul. Ils se marient et vont vivre au Yémen. L’idylle bascule vers le cauchemar le jour où la jeune femme se révolte en public contre son époux qui vient de prendre une seconde épouse. Dès lors l’homme pour sauver son honneur l’accusera d’adultère et la sacrifiera à la loi musulmane de son village. Elle sera condamnée à la lapidation en dépit de l’émotion médiatique.
Un discours d’apaisement traverse ce drame, il passe par la parole de la sœur d’Abdul, Nouria, magnifiquement incarnée par Nathalie PFEIFFER, qui de façon inattendue, éprouve beaucoup d’empathie pour sa belle sœur. Aneke. Nouria est elle-même une femme opprimée et méprisée par son frère parce qu’elle est vieille et sans enfants.
Aneke interprétée avec une belle intensité par Pauline KLAUS est une jolie jeune femme pleine de vitalité. Elle dégage cette féminité, objet de désir, de tentation et finalement de haine.
Quant à Abdul, ce médecin cultivé qui a étudié en occident, il nous est présenté comme un être brutal, dépourvu de sentiments.
Nous nous demandons si c’est possible qu’un homme qui a pu séduire une jeune hollandaise, qui a été séduit par elle, puisse ainsi se transformer en barbare. Même si nous pouvons regretter que le portrait de cet homme ne soit pas plus nuancé, la démonstration est éloquente, parce que telle est la réalité, la coutume prévaut sur la conscience individuelle, elle est impitoyable.
Pas de place donc pour la conscience individuelle, nous la voyons étouffée par l’inconscience collective, la folie d’une foule conviée à pratiquer le lynchage, un sacrifice humain au nom de Dieu.
« Laisse Dieu où il est Abdul ! » ce sera la dernière parole d’Aneke qui cible la lâcheté de son époux.
Un profond mal au cœur nous envahit et nous fait prendre conscience que oui, aucune voix n’est inutile qui prête un peu de son temps pour s’élever contre l’ignominie qui se donne en spectacle dans ce monde. Quoi, le cerveau humain est capable de fabriquer des fusées pour aller sur Mars, et il demeurerait impuissant à lutter contre la barbarie !
Puisse le bon sens incarné par Nouria la sœur de ce pauvre Abdul, encourager les victimes et les témoins des aveuglements humains, à continuer à œuvrer solidairement et obstinément contre toutes ces idéologies inhumaines qui institualisent le crime.
Nous ne rêvons pas bien au contraire ! Si le monde par beaucoup d’aspects nous paraît infernal, en dépit de ses compensations matérielles qui l’illusionnent sur sa nature – oh combien fragile – d’un point vue moral et psychologique, l’homme doit savoir qu’il n’est pas à l’abri de ses démons, il lui appartient de travailler à les maîtriser. C’est l’avenir de l’humanité qui en dépend.
C’est de toute évidence, le message de Jean CHOLLET -NAGUET qui met son expérience théâtrale au service de son engagement humaniste, de façon très percutante.
Il est bien probable que ce petit fait divers concernant la lapidation d’une femme, qui nous a distrait à la lecture une fraction de seconde, exprimé au théâtre nous remue bien plus profondément. Cela sert aussi à ça le théâtre, bouger les esprits !
Paris, le 20 Février 2016 Evelyne Trân