Auteur : Jerôme Pellissier
Artistes : Eric Wolfer, Alexandre Palma-Salas, Milena Vlach, Guillaume Van’t Hoff, François Perrin
Metteur en scène : Milena Vlach assistée d’Eleonora Ross
On en aurait bien besoin de Jean JAURES aujourd’hui. Qui ça on, le paysage politique français, évidemment ! En tout cas c’est le sentiment qui submerge des spectateurs venus assister à une représentation de RALLUMER TOUS LE SOLEILS JEAN JAURES OU LA NECESSITE DU COMBAT de Jérôme PELLISSIER dans la superbe salle en pierre du Théâtre de l’Epée de bois.
La pièce évoque essentiellement les combats menés par Jean JAURES depuis l’affaire DREYFUS au premier mois de de la guerre de 1914. Pour les illustrer, il suffit d écouter les discours de Jean JAURES lui-même, orateur hors pair sur la laïcité, le colonialisme, l’antisémitisme, la xénophobie.
Jérôme PELLISSIER a certainement désiré au delà de la figure du tribun politique panthéonisé, rendre compte de la générosité, du courage et de l’intégrité de cet homme qui aimait les hommes, croyait en l’humanité d’où le titre du journal L’HUMANITE qu’il fondât avec une pléiade d’écrivains en 1904.
Sans nul doute c’est le type d’homme qui inspira CAMUS lui même journaliste à Combat. JAURES était en avance sur son temps, notamment lorsqu’il dénonçait le colonialisme, le nationalisme extrémiste . Comment oublier qu’il fit partie des rédacteurs de la Loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État et qu’il s’engagea dans la défense de DREYFUS.
La beauté vive et franche du mur de la scène de l’Épée de bois sied à la figure de Jean JAURES, à la fois homme de peuple et bourgeois. L’espace est frugal, l’histoire se resserrant juste autour de quelques personnages, Charles PEGUY ami puis ennemi de JAURES , DUNOIS, le frère spirituel, Eva JOUARD, journaliste féministe et GAVROCHE vendeur de journaux dans les rues ,qui fait office de narrateur, exprimant par des chansons l’atmosphère de l’époque.
JAURES était un homme d’idées, de grandes idées, il avait un pied sur terre grâce à son journal, véritable oreille des combats de ceux qui ont œuvré pour les droits des travailleurs. « L’humanité n’existe pas encore ou elle existe à peine … nous voudrions que le journal soit en communication constante avec tout le mouvement ouvrier, syndical ou coopératif » écrivait-il dans son premier éditorial de L’HUMANITE, le 18 Avril 1904.
Son assassinat à la veille de la guerre de 14 alors qu’il combattait toujours pour l’empêcher, parce qu’il avait la terrible prémonition de ses désastres, a fini par jeter l’éponge sur un homme d’action jugé trop idéaliste, voire trop optimiste, par nombre de ses confrères politiques. Mais TROTSKY, le communiste le plus rouge, l’admirait, avait conscience de la valeur de son idéal pacifiste.
Tous les combats que JAURES a mené contre l’obscurantisme des intellectuels d’extrême droite, xénophobes, antisémites, comment les juger idéalistes, nous qui avons en mémoire la Shoah et devons subir les discours de ceux qui continuent à prendre pour boucs émissaires les étrangers de tous les maux de la société. A un siècle de distance et dieu sait que la société a évolué, ce sont les mêmes débats qui la mobilisent, qui font resurgir les mêmes peurs, qui font entendre les mêmes cloches.
Des milliers de rues, avenues, boulevards Jean Jaurès jalonnent les villes de France, de façon anodine mais celui qui n’a pas de culture politique sait seulement qu’il s’agit d’un grand homme qui fait partie de l’histoire de France . Qui frémit encore en lisant sur la ligne 2 du métro que la station Jaurès se situe entre Stalingrad et le Colonel Fabien ?
Le spectacle s’adresse justement à ceux qui ont envie d’en savoir davantage sur cet homme . Grâce à son interprète Eric WOLFER qui dispose d’une belle voix puissante , c’est non seulement l’ampleur, le sens mais l’émotion du tribun qui frappent, captivent les auditeurs. Il n’avait pas la langue de bois, JAURES, et ses discours sont empreints de la chaleur d’un bon vivant. La vie, il faut l’entendre aussi, c’est le théâtre de la rue, le va et vient des événements narrés par un vendeur de journaux, cette figure énigmatique de Gavroche superbement incarnée par Guillaume van ‘t Hoff.
La mise en scène de Milena VLACH est dépouillée, volontairement non réaliste, concentrée sur l’état de tension permanent qui animait JAURES comme s’il voulait toujours prendre le pouls de la société à la fois comme journaliste et homme politique, ce qui n’est pas une mince affaire.
Mais les piles de journaux aplaties, concassées font un clin d’œil au beau mur de pierres de la salle de l’Épée de Bois, grandiose car chacune de ses pierres évoque le chantier humaniste de JAURES, ici le mot mur parle du travail des mains de beaucoup de travailleurs pour s’élever, eh oui, vers un idéal qui ne soit pas sournois mais qui tienne debout leur mémoire, leur présence quoiqu’il arrive !
Un beau spectacle instructif, passionnant, passionné, à voir de toute urgence !
Paris, le 12 Décembre 2015 Evelyne Trân