Mise en scène
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Florence Cabaret & Jeanne Signé |
Avec Sabrina Bus, Séverine Cojannot, Pauline Devinat, Christine Lietot, Nathalie Lucas, Céline Pitault, Florence Tosi
Décors
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Marguerite Danguy des Déserts
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Lumières
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Sébastien Lanoue assisté de Valentin Bodier |
Son
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Jeanne Signé
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Étrange ce titre LES HOMMES en lettres capitales blanches qui se dresse comme une pancarte, un grand panneau de signalisation. Toute désignation implique nécessairement l’existence d’une frontière, quelque chose à ne pas dépasser, faute de quoi nos repères se troubleraient, faute de quoi tout se mélangerait dans nos petites consciences. Et pourtant communément lorsqu’on parle des hommes, paraît-il les femmes font partie du lot . Les hommes, c’est un terme générique qui englobe l’humanité.
Charlotte DELBO a vécu cette expérience de frontière avec LES HOMMES notamment lors de son incarcération avec d’autres femmes résistantes au Fort de Romainville avant d’être déportée à Auschwitz . Les femmes étaient séparées de leurs hommes, maris, amants ou frères . C’était seulement au cours de promenades dans la cour de la prison qu’elles pouvaient les apercevoir, les guetter à travers des grillages.
L’étiquette de résistante colle à la peau de Charlotte DELBO avec son cortège de douleurs. Elle est aussi un grand écrivain, ce qui lui appartient en propre. Sa pièce LES HOMMES écrite en 1978 est représentée pour la première fois au Théâtre de l’Epée de Bois. Dans cette pièce, il est évident que Charlotte DELBO rend hommage à ses compagnes de détention . Beaucoup d’écrits de Charlotte DELBO ont précédé l’écriture de cette pièce, ce qui lui permet d’aller à l’essentiel, évoquer un moment de partage unique avec ses compagnes lorsque abruties par l’angoisse, le désespoir, elles décidèrent de monter ensemble une pièce de théâtre.
Plusieurs d’entre elles hésitent, elles n’ont pas le courage de s’intéresser à des « futilités » et puis elles ressentent la nécessité de rester dans la vie, de réagir, ce qui est une forme suprême de résistance.
Il est vrai que Charlotte DELBO avait dans ses bagages de mémoire la troupe de théâtre de Louis JOUVET dont elle fut la secrétaire. Elle avait quitté la troupe en 1941pour rejoindre La Résistance avec son mari Georges DUDACH, fusillé en 1942.
La pièce sans aucune emphase littéraire est très émouvante . Charlotte DELBO se trouve à l’intérieur du dortoir de la prison sans se nommer; elle fait partie des personnages, de sorte que pendant l’action, on l’imagine réellement être là derrière les épaules de ses compagnes, soucieuse de recueillir leurs pensées, ces angoisses difficiles à partager, muettes. Elle ne cesse de les regarder bien des années plus tard ayant à cœur de retranscrire le plus justement possible leurs paroles, leurs émois et de les faire revivre.
Pas de pathétisme non plus dans cette pièce . La mise en scène extrêmement soignée et les très justes incarnations des comédiennes, réussissent à rendre l’atmosphère à la fois tendue et recueillie de cette chambrée de femmes où les va et vient des mouvements de pensées intérieures et extérieures coexistent . Les femmes ne crient pas, elles subliment leurs douleurs dans l’action, celle que réclame le montage d’une pièce, entreprise qui leur permet de retrouver en elles des trésors d’imagination, de créativité.
Il se dégage de cette représentation une réelle beauté, sans doute la beauté intérieure de Charlotte DELBO . Témoignage renversant d’une femme qui s’est battue toute sa vie pour la liberté, a aimé jusqu’au bout des ongles le théâtre qui fut avec la poésie ses armes de combat. Elle l’a dit, elle a survécu à ses années de déportation grâce à la poésie qu’elle avait logée dans la mémoire, grâce au dialogue avec ses compagnes de détention.
Nous ne pouvons qu’engager le public à aller découvrir LES HOMMES à l’Epée de Bois et de poursuivre la rencontre avec ce grand écrivain, à travers son œuvre majeure, essentielle, encore trop peu connue.
Paris, le 22 Novembre 2015 Evelyne Trân