Traduction de Françoise Thanas
Assisté de Dominique Scheer
Distribution : Dominique ARDEN, Raphaëlle CAMBRAY, Ingrid DONNADIEU, Victor HAIM, André NERMAN
Comme un fruit mûr et quelque peu juteux, l’amour est au centre de de BLIND DATE, une des premières pièces de Mario DIAMENT, écrivain et journaliste argentin. C’est le célèbre Jorge Luis BORGES qu’ a rencontré Mario DIAMENT qui lui a inspiré le personnage principal, l’écrivain aveugle.
La trame de la pièce est simple. Un écrivain âgé qui s’assoit tous les jours sur le même banc face à quelques arbres, fait connaissance séparément avec des inconnus qui vont lui dévoiler leur part la plus intime, comme si la cécité de leur interlocuteur les mettait en confiance. Au fil des rencontres, l‘écrivain aussi bien que le spectateur découvrira les liens qui relient tous les personnages où la passion tient une grande place.
L’écrivain alias Jorge Luis BORGES croit au coup de foudre ou tout au moins aux vertus de l’hallucination amoureuse. Il ne cesse de s’interroger sur ce qui pousse un individu dans un carrefour à choisir telle ou telle direction. Dans cette perspective, il n’y a pas de fatalité puisque l’individu en question a le choix .L’écrivain émet cependant cette hypothèse que même si une personne ne peut s’engager que vers un seul chemin, toutes les autres voies qu’elle aurait pu suivre l’aurait menée, vers l’amour inévitable. L’homme ne subit pas les effets de son parcours. Sa bonne ou mauvaise fortune, il la vit pleinement parce que même obscurément, il sait ce qu’il recherche, l’amour de sa jeunesse.
Toujours éveillé, l’écrivain aveugle a appris à composer avec les ombres, il fait face tel un véritable chevalier, une sorte de Don Quichotte spirituel, plein d’humour, à l’inconnu qui se présente à lui sous les aspects de quatre personnages dont le destin va se jouer devant lui comme dans un spectacle. Il en devient en tant que témoin, la figure tournante, devenu arbre penseur qui capte et reçoit toutes les effluves des passants sur son banc.
A mi-chemin entre le boulevard cocasse et l’art de la maïeutique socratique, les dialogues de Mario DIAMENT, frictionnent une réalité jonchée de clichés qui prennent grâce dans l’esprit de l’écrivain voyageur, lequel leur insuffle l’ironie du sort, la force balbutiante de la passion, la folie capables de balayer les conventions qui ont ligoté ces inconnus avant qu’ils ne se retrouvent sur le banc.
Tous les personnages ont en commun un amour impossible, défendu, manqué. Certains y laisseront des plumes car il importe que l’amour s’exprime même s’il doit conduire à la mort, dixit l’écrivain dans une de ses nouvelles, et Mario DIAMENT qui signe une comédie suave, drôle qui parle d’amour comme dans un tango argentin.
La mise en scène de John Mc Lean est dépouillée. Sur fond de scène, une sorte de vitrail suggère les ombres et la couleur jaune que perçoit l’écrivain aveugle, interprété par Victor Haïm, interprète idéal de ce personnage empreint d’une candide maturité, absolument rayonnant.
Ses partenaires sont très justes et nous avons le plaisir de retrouver André NERMAN (qui a joué dans une autre pièce de Mario DIAMENT « Un rapport sur la banalité de l’amour ») qui campe ici un quinquagénaire victime du démon de midi avec beaucoup de drôlerie.
Un grand moment de théâtre qui tel le testament amoureux de Jorge Luis BORGES, élance le cœur, donne le vertige, sème le désordre sur cette belle carte du tendre à portée de main sur un banc public !
Paris, le 20 Mars 2015 Evelyne Trân