D’après la Conférence du Vieux Colombier
Une création du Chêne Noir – Avignon
Mise en scène : Gérard Gelas, assisté de Jean-Louis Cannaud
Distribution : Damien Rémy
Représenter sur scène cet Antonin ARTAUD au corps délabré, pitoyable momie vivante, le jour de la conférence qu’il présenta au Vieux Colombier le 13 Janvier 1947, après près de 10 ans d’internement dans un asile d’aliénés, tient de la gageure.
La mise en scène de cet évènement pourtant s’est imposée à Gérard GELAS en hommage à ce poète artiste dramatique, pour témoigner de son expérience quasi inhumaine, à travers cette histoire vécue d’Artaud Mômo.
Un sentiment de recul, de dégoût face au spectacle d’un homme déchu, torturé, peut saisir le spectateur comme il effraya ceux qui assistèrent à la conférence et parmi eux André BRETON, GIDE et tous les intellectuels de l’époque.
Il est clair que l’artiste génial Antonin ARTAUD fût traité comme une bête dans cet asile d’aliénés où il subit 58 électrochocs. Quelle résistance pourtant chez cet homme resté éveillé pendant ses plus pénibles expériences !
Dans le pèse nerfs, Antonin ARTAUD écrit « J’imagine une âme travaillée et comme soufrée et phosphoreuse de ces rencontres, comme le seul état acceptable de la réalité.
Mais c’est je ne sais pas quelle lucidité innommable, inconnue qui m’en donne le ton et le cri et me les fait sentir à moi-même ».
Il y aussi cette autre phrase dans sa lettre à Monsieur Le législateur de la loi sur les stupéfiants « Tremblements du corps ou de l’âme, il n’existe pas de sismographe humain qui permette à qui me regarde d’arriver à une évaluation de ma douleur plus précise que celle foudroyante de mon esprit ! »
Fou de vouloir exister de la façon dont il conçoit l’existence, la sienne, ARTAUD est allé au bout de lui-même. Dans cette conférence échappée de l’homme verbe, l’homme acculé relève son corps meurtri, car il est habité par une rage d’exister inouïe.
Le comédien Damien REMY interprète physiquement de façon saisissante l’homme ARTAUD, spectaculaire loque humaine, tandis qu’une voix off plus blanche, reprend par intermèdes, le cours du récit.
Cela permet de faire sentir ce décalage incroyable entre la misère physique de l’homme et la cohérence de ses propos.
Dans ce spectacle, le souffle d’ARTAUD frôle les nuques des spectateurs faisant sursauter, qui sait, leurs âmes bien engoncées dans leurs fauteuils. C’est le vertige du théâtre, sa revanche sur notre façade houspillée par cet homme, figure théâtrale hors normes, exaltante, pour grand nombre de comédiens.
Le comédien Damien REMY joue comme s’il était envoûté par Antonin ARTAUD lui-même. Cet envoûtement doit être communicatif car il est probable qu’après ce spectacle, les spectateurs n’auront qu’une seule envie, se repencher sur l’œuvre et la vie de cet artiste aussi tragique que magique.
Paris, le 22 Février 2015 Evelyne Trân