avec
Guillaume Fafiotte, Philippe Lardaud, David Maisse, Nathalie Lacroix et Isabelle Ronayette
Véritablement savoureuses, « La Dame au petit chien »et « Le Mouton à l’entresol » ces deux petites pièces d’Eugène LABICHE qualifiées de zoologiques par son metteur en scène Jean BOILLOT. C’est toute l’acuité du regard moqueur de LABICHE qui s’amuse à chatouiller une galerie de personnages dans leur univers bourgeois, pour le plaisir de les voir se trémousser, s’exciter, baver, grogner, comme des cochons d’inde en cage.
La recette de LABICHE au demeurant est très simple. Prenez un tableau bien encadré et à peine poussiéreux où pose béatement un couple de bourgeois, avancez y votre torche que vous immobiliserez un instant, le temps que votre regard se trouble, et vous verrez courir sur le tableau,quelque chose qui vient démanger ces figures trop lisses, impavides, l’ombre de leurs domestiques.
Comme dans un théâtre de guignol, vous aurez tout loisir pour peu que vous ne craigniez pas d’être pris au sérieux, de grossir, allonger, rétrécir à volonté, les ombres parasites d’une toile qui crie à travers ses craquelures.
Dans la « Dame au petit chien », le parasite est un jeune peintre désargenté qui a l’idée géniale de se mettre en gage lui et ses meubles chez son créancier. Nous verrons le bourgeois se faire bouffer malgré lui par le jeune affamé, et nous rirons de ses malheurs comme dans les fables de LA FONTAINE, précurseur en la matière.
La pièce « Un Mouton à l’entresol » est quant à elle, une véritable curiosité, car le parasite toujours domestique se révèle lui-même érudit sur la question des parasites. Véritable caricature d’un savant méconnu, le domestique prend pour cobayes des animaux, notamment la chère perruche de Madame, pour expérimenter sa grande découverte du tournis du mouton.
Comme tous ces gens-là qui vivent ensemble, les domestiques et leurs maîtres ne sont pas sur les mêmes ondes, LABICHE a beau jeu de les brouiller au point maximal, celui des instincts primaires, qui jouent le rôle de pompon dans le manège de ces pauvres bourgeois accrochés désespérément à leurs chevaux en bois avant de se retrouver les pattes en l’air. Hélas, les lois de la nature ne font guère de différence entre les hommes et les animaux.
Dans leur cage tapissée de paille d’argent ou d’or, les bourgeois au 19ème siècle, pour assouvir leurs besoins sexuels démesurés, embauchaient des servantes avec l’assentiment de leurs épouses alanguies, cintrées dans leurs crinolines comme des poupées en porcelaine sur leurs étagères.
Ce n’était scandaleux pour personne, mais nous le savons, tout ce qui a trait au sexe fait souvent rire. De la même façon qu’un chien habillé peut nous paraitre ridicule par référence à l’homme, celui-là même à quatre pattes par référence à nos chers animaux domestiques, nous fait un peu pitié.
Avec une précision d’horloger, Jean BOILLOT officie sa mise en scène; tout jubile dans ses tableaux, la couverture sur le divan, les chaises qui grimpent les unes sur les autres, les portes sans fond et le piano qui joue tout seul, le drapé voluptueux des rideaux.
LABICHE agit toujours par petites touches, des clichés très vifs. Un simple coup d’œil sur la scène du déjeuner et déjà tout est en place, la bourgeoise anorexique, avachie dans sa superbe robe, le bourgeois avide, les domestiques qui s’affairent autour de leurs maîtres comme des limaces. Tous annoncent l’arrivée du parasite qui à défaut d’être le messie, va remuer tout ce monde.
Dans cette coupe de verre à l’ancienne, nous voyons sortir les bulles d’individus si vivants, si drôles, que nous ne pouvons que sourire à leur manège, pianoter d’un regard en songeant qu’après tout si nous descendons de ces gens-là, nos bisaïeuls ou trisaïeuls, nous devons bien en avoir conservé quelques traces Quel LABICHE d’aujourd’hui pourrait nous en faire la démonstration ?
En attendant, nous ne pouvons que saluer cette création moderne et dynamique du NEST et applaudir toute l’équipe artistique. Ce spectacle agit comme une véritable purge, une véritable saignée de la grisaille quotidienne. Nous rions ou gloussons comme des poules ou des coqs en bénissant LABICHE. Il faut dire que ces petites partitions méconnues de LABICHE sont aussi joyeuses que délirantes et que leurs interprètes sont excellents. Sans forcer le trait, ils mettent en valeur l’aspect à la fois pimpant et léger de la plume de LABICHE avec une vivacité étourdissante. Rien que du bonheur !
Paris, le 19 Janvier 2015 Evelyne Trân
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