N.B : Ivan MORANE et Denis LAVANT étaient les invités de l’Emission DEUX SOUS DE SCENE sur Radio Libertaire, le 31 Mars 2012, pour parler du spectacle. L’émission a été rediffusée le 5 Juillet 2014 et peut être écoutée en ligne (Voir podcast sur le site : grille des émissions de Radio Libertaire 89.4).
A l’occasion de la reprise de ce spectacle, voici la chronique que j’avais écrite lors des représentations à l’Epée de Bois à la Cartoucherie de Vincennes.
En découvrant ce portrait hallucinant de CELINE interprété par Denis LAVANT, l’on ne peut s’empêcher de penser que cet homme était un personnage de théâtre aussi monstrueux qu’un Richard III ou un Roi Lear. C’est une révélation parce que cela bouleverse l’idée que nous nous faisons de l’écrivain en général toujours trop sage, planqué à l’intérieur de ses livres. L’écrivain CELINE est un artiste et un homme. Il revendique sa vérité charnelle, avec une violence qui n’est pas sans rappeler celle d’Artaud. CELINE a écrit une pièce de théâtre qui a été refusée par les éditeurs. Son théâtre, il l’a transposé dans des romans qui dépassent aussi l’idée que nous nous faisons du roman. Comme si CELINE était toujours au travail, au sens noble du travail, celui qui passe par la perception, la conscience, l’engagement et surtout pas la routine.
Emile BRAMI a composé un spectacle à partir d’un choix de correspondances de CELINE où il parle de son rapport à l’écriture. Il s’exprime comme un déchainé, un lion en cage, il parle de l’écriture comme d’une maitresse et quand il dit : « Je ferai danser des alligators sur ma flute de pan » c’est qu’il ne la veut pas soumise l’écriture, il la veut émotive, aussi vivante qu’un tableau. Il y a des moments aussi où il fait penser à Frankenstein car c’est tout de même incroyable cette volonté de vouloir pétrir l’écriture comme la chair. CELINE était aussi médecin, médecin des pauvres à CLICHY LA GARENNE. Il a fait la guerre de 14. Alors la chair, il connait, aussi bien celle des morts que celle des vivants. C’est une expérience à laquelle n’importe quel humain ne peut pas songer sans douleur.
De fait Denis LAVANT ne joue pas CELINE. Il est CELINE, sa fureur, ses tripes, sa peau, son imagination aussi car il a une façon de bouger spectaculaire comme si les images de CELINE il fallait qu’elles gambadent aussi sur la scène. Mais c’est le corps qui les invente, c’est fantastique comme le rêve pris dans les rets du réel.
Dans le fond, on a l’impression d’assister au travail de création d’un artiste dans une chambre obscure, celle de la solitude, lorsqu’il déballe ses fantasmes. Quand il jette pêle mêle les livres de ses contemporains en les traitant de tous les noms, ne serait-ce pas avec l’idée secrête d’en extraire la substantifique moelle pour la pétrir à sa façon.
La scène de l’Epée de bois pourrait presque faire penser à un vaste grenier dont les objets seraient tous familiers. Le metteur en scène a simplement voulu donner une scène, un espace à l’écrivain pour qu’il devienne à son tour un personnage de théâtre et c’est réussi grâce à Denis LAVANT, indomptable CELINE. C’est vrai qu’avec CELINE, on ne peut s’empêcher de croire que le mot création dérive du mot chair. Souvenons-nous tout de même que dans l’œuvre de cet écrivain, le meilleur conspire contre le pire.
Aux spectateurs qui ne sont pas fervents du « seul en scène » j’objecterai qu’il ne s’agit pas d’un monologue mais d’une course à l’écriture trépidante, mouvementée et forte en gueule. Un spectacle de nature à séduire même les enculeurs de mouche, c’est rare !
Evelyne Trân
Publié le 2 Avril 2012, mis à jour le 6 Juillet 2014