Délire à deux…à tant qu’on veut d’Eugène IONESCO au THEATRE DU LUCERNAIRE – 53, rue Notre-Dame des Champs 75006 PARIS – Du 25 juin au 27 septembre Du mardi au samedi à 18h30

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Auteur : Ionesco
Mise en scène : Rachel André
Avec : Rachel André et Benjamin Tholozan
Durée : 50 min

« Délire à deux…à tant qu’on veut » est une pièce d’Eugène IONESCO, créée en 1962, absolument   saisissante  tant par son réalisme que sa cruauté. Elle met à jour de façon âpre et stupéfiante les interférences entre les conflits intimes d’un couple et les conflits extérieurs, la guerre dans le monde.

 Elle et Lui confinés dans un appartement exigu sont si bien unis pour le meilleur et le pire qu’ils s‘accusent mutuellement d’avoir raté leur vie. Et s’il n’y avait pas l’autre pour bouc émissaire de ses rancœurs et sa mauvaise humeur, il faudrait l’inventer. Elle et lui se détestent aussi cordialement que Simone Signoret et Jean Gabin dans « le Chat » de Pierre Granier Deferre pendant que les pelleteuses sont en train de nettoyer leur quartier. Dans « Délire à deux » c’est la guerre et les échauffourées dans la rue qui retentissent.

 Contrairement à la didascalie d’IONESCO qui note qu’Elle et Lui ne sont pas jeunes, les interprètes le sont. Mais leurs propos révèlent un tel désabusement, un tel effondrement de leur  rêves et ils sont si pitoyables qu’ils prêtent au sourire  plus qu’au larmoiement.

 Car on les entend tout de même leurs rêves au milieu des insanités qu’ils se jettent au visage. Et le ridicule de leur dispute à propos d’un limaçon et d’une tortue a au moins la vertu de faire entrer l’imaginaire dans une situation sordide et d’échapper à la conscience de la mort qui les menace puisque tout autour d’eux, c’est la guerre qui rugit et c’est leur appartement qui risque d’être balayé.

 Eugène IONESCO ne donne pas d’indices psychologiques. Il donne la parole aux  disputes élémentaires ou alimentaires du couple, la dispute devient un ferment vital, le fagot qu’il faut jeter dans le foyer pour le faire flamber. Il dresse le portrait d’humains désarçonnés, paumés, qui ne comprennent  rien à ce qui leur arrive et trop obnubilés par eux-mêmes pour avoir une quelconque prise sur le monde extérieur. Il n’y a qu’eux qui existent, pensent-ils – puisqu’ils ignorent les autres et que ces mêmes autres les ignorent.

 Cet huis clos résonne de façon fulgurante parce  qu’il nous renvoie à notre duplicité familière. Qui ne s’est pas disputé un jour avec un proche sans se contenir et pour reprendre souffle n’est pas allé à la  fenêtre pour regarder la rue…

 L’angoisse de la mort intervient au milieu même du tumulte parce qu’en dépit du fait de ne pas se supporter ou de trouver la vie insupportable et ennuyeuse,  Elle et Lui sont bien vivants et la violence de leur chamaillerie le prouve.

 Mais chez IONESCO,  cette angoisse de la mort prégnante recouvre tant d’humanité que le moindre détail qui a valeur de vie prend une tournure extraordinaire; c’est ainsi qu’Elle et Lui finissent pas se réfugier dans un placard en se traitant de limace et de tortue, un détail grotesque et absurde d’un tel prosaïsme qu’il fait plisser l’œil de plaisir.

 La mise en scène de Rachel ANDRE fort bien  réglée permet aux spectateurs de s’immerger dans ce délire à deux où tandis qu’Elle et Lui s’embrouillent dans leur verbiage, ils se trouvent au fur et à mesure bombardés par des projectiles, assaisonnés de bruits divers, larsens, bourdons etc.  savamment concoctés par Julien GOUSSET.

 Le décor éloquent et très simple fait apparaitre plusieurs portes au papier peint désuet qui se fondent  dans les murs.

 Les interprètes Rachel ANDRE et Benjamin THOLOZAN, très justes, scotchés aux propos bêtes et méchants et particulièrement cocasses de leurs personnages, font surgir les contrastes entre une Elle quelque peu pêchue et arrogante sur ses hauts talons et un Lui dépassé, ahuri comme un Pierrot lunaire.

  C’est le genre de pièce qu’on a envie de revoir tant elle est riche et dense, explosive. On y retrouve tout l’esprit d’IONESCO avec des personnages odieux mais tellement vrais. C’est fou, complètement fou. C’est du IONESCO lucide et cruel qui nous tend pourtant la perche du rêve. Sur les charbons ardents de la bêtise, qui les font délirer, Elle et Lui finiront-ils par s’aimer ? Un lieu commun, peut-être, mais cela fait tellement du bien de délirer et la Compagnie YAOTA  est si bien inspirée d’avoir choisi « Délire à deux » pour son premier spectacle. Gageons qu’il emmènera très loin cette équipe talentueuse et vivifiante.

 Paris, le 28 Juin 2014                           Evelyne Trân

 

 

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