Conception, mise en scène, chorégraphies Patrice BIGEL Scénographie, lumières Jean Charles CLAIR – Textes : Alison COSSON, Conception sonore Julie MARTIN
avec Samih ARBIB, Mara BIJELJAC, Francis BOLELA, Sophie CHAUVET, Anna PERRIN
Que le temps soit physique, corporel, c’est à peine si nous y songeons. C’est souvent dans des situations de contraintes ou de plaisir que nous sommes à l’écoute de notre corps. Il est possible que dans la société organisée qui est la nôtre, nous ayons domestiqué notre corps de façon qu’il puisse s’y intégrer en adoptant ses repères,
La course contre la montre, c’est sans doute inconsciemment une course contre la mort, toujours cette idée qu’on n’a pas le temps, que si l’on manque un rendez-vous, quelque chose va s’écrouler.
La course donc toujours la course comme s’il fallait être le plus rapide pour ramasser quelques miettes d’un gâteau qui assurent notre subsistance. La vitesse avec laquelle nous savons répondre aux situations pourvoyeuses de récompenses que nous croyons indispensables, nous dope d’un sentiment de puissance, de domination, de maitrise. Plus vite pour damer le pion à la mort, pour gagner, gagner …
La terre s’arrêterait-elle de tourner si nous jetions notre montre à la poubelle. Sûrement pas, mais c’est nous-mêmes qui n’existerions plus pour les autres.
Quelles sont donc les injonctions du corps inconscient, quand aujourd’hui, il n’est question que de gestion, d’économie ? Nous croyons que si nous pouvons tout obtenir plus vite, nous avons gagné du temps mais quel temps ? Est-ce vraiment le nôtre, est ce celui qui satisfait notre mémoire, notre ressenti. Est-ce avec ce temps-là qui se confond avec l’argent, que nous regardons les arbres, que nous levons les yeux vers le ciel, que nous écoutons un enfant pleurer.
Reconnaissons que ces considérations d’ordre philosophique pèchent pas leur banalité. Pourtant il faut bien témoigner d’un sentiment de malaise propre à notre civilisation moderne. S’il ne s’agit pas de nier le progrès en s’offusquant d’avoir recours à des béquilles – par exemple des écouteurs dans les oreilles, pour s’apporter quelque bien être dans un métro bondé – on peut penser que notre corps a perdu quelque liberté, il n’est plus pensable, il doit la plupart du temps se taire à cause de conditions de travail qui ont tendance à assimiler l’humain à une machine, à du bétail.
Une réflexion sur l’humain s’impose et s’imposera toujours. Un jour, le mythe commercial de la vitesse sera considéré comme ringard. On parlera de qualité de vie, on parlera de la nécessité de prendre son temps pour aller explorer d’autres ressources humaines qui ne sont pas seulement l’apanage des artistes, des rêveurs.
C’est le spectacle de Patrick BIGEL qui m’inspire ce préliminaire un peu long. Sans doute parce que DEADINE résonne un peu comme une épopée bouleversante de l’individu égaré ainsi qu’une brindille dans l’univers, de son temps corporel en prise avec les sommations e la société mais aussi de l’inconnu qui vrille ses désirs.
Que dit le corps livré à lui-même ? Il est domestiqué, certes, il a ses réflexes, il est reconnaissable, visible. Mais parfois, il s’écarte des sentiers battus pour simplement se découvrir, se parler à lui-même, et il joue, il joue avec le temps.
Alors on s’aperçoit que le temps peut devenir espace, sujet aussi d’émerveillement comme un ballon que des gens se lancent. Il est mobile de la même façon que les jambes, les bras, la tête se bougent, se frottent, s’éloignent. Le temps devient un partenaire parce que c’est le corps qui se l’approprie à travers tous ses membres, ses sens immédiats. Il ne s’agit plus de temps abstrait mais de temps physique, d’un temps vital, humain exprimé par le corps lui-même, ses innocuités, ses réflexes et ses rêves car croyons le, le corps rêve. Mais nous avons tant l’habitude de séparer le corps de l’esprit !
Les figures de l’inconscient ne prennent pas la parole, elles épaulent soit le silence, soit la musique qui se côtoient. Alors la scène où un personnage laisse ses bras s’agiter de façon presque mécanique devant un phonogramme qui laisse échapper un chant des années 1900, «Les pêcheurs de perles » a quelque chose de fabuleux, de renversant et d’intime.
Parce que l’intime se trouve aussi là-bas et ailleurs, et que nous en sommes toujours à nous demander qui sommes nous, nous qui pouvons contempler des falaises millénaires et écouter des chants d’une autre époque ?
Les chorégraphies des danseurs et danseuses, sont simples, elles sont commandées par leur condition physique, elles rappellent des scènes de la vie quotidienne, en ville, dans les transports, leur frénésie, leur folie. Simples et fortes, chevillées au corps. Elles parlent aussi du plaisir de marcher, de courir et même de se regarder le nombril, les jambes en l’air.
Et on entend aussi prendre le train, les pensées des personnages dans de jolis textes d’Alison COSSON dont les va et vient et les petites culbutes émotionnelles font écho à de précédentes randonnées gestuelles.
Mais un tel spectacle ne se raconte pas, il faut le voir donc se déplacer, oui bouger ! Eminemment poétique et tendre, lumineux, il met en valeur la simplicité, la vérité d’aspirations si humaines qu’on les oublie : respirer, sentir, en laissant s’écouler en soi le vertige. Il y va pour chacun de cueillir ses propres pensées à travers le temps et l’espace comme le Petit Prince de Saint Exupéry.
Un grand chapeau à toute l’équipe de ce spectacle où la symbiose entre toutes les cordes artistiques – musique, scénographie, lumières, le texte, chorégraphie – est indéniablement le résultat d’un travail collectif dynamique, effrontément juvénile, n’en déplaise à notre vieille terre !
Paris, le 6 Décembre 2013 Evelyne Trân