Expurger de la pièce « L’Avare » son célèbre HARPAGON pour donner la parole à ses enfants, il fallait y penser. Harpagon est mort et les enfants, Elise, Valère, Cléante et Marianne, les quatre amoureux revivent les évènements qui les ont réunis.
Les comédiens n’utilisent que le texte de Molière et il s’avère que les répliques des personnages débusquées de leur contexte, arrivant parfois comme des sommations, « Il faut manger pour vivre et non pas vivre pour manger » sont investies de telle façon que leur charge émotionnelle témoigne de l’omniprésence du père dans leur mémoire.
Ce qui a été dit, ce qui été fait, résonne toujours. Chez ses personnages qui sont en train de revivre leur histoire, ce qu’ils ont à dire est gravé dans leur cœur, leurs souvenirs. Leurs paroles sont des portefaix, des coups d’épée, un moyen pour les protagonistes de conjurer l’héritage d’Harpagon, terrible puisqu’il était prêt à sacrifier leur bonheur à son seul profit.
Il est très étonnant de voir tous ces personnages libérés de la « cassette » de l’avare, exprimer la turbulence de leurs sentiments, en mimant ou en reproduisant aussi bien les paroles d’Harpagon que celles de leurs partenaires. Ils échangent leurs rôles avec une vivacité vertigineuse, s’adressent au public, le prennent à témoin. Car ils entendent crier leur existence, ils représentent la jeunesse, et même si la comparaison peut paraitre énorme, il y a en eux ce germe de révolte qui souleva les jeunes en Mai 1968.
Mais le spectacle est avant tout très divertissant, il faut les voir ces comédiens caméléons capables d’endosser plusieurs figures en se partageant les mots d’une même réplique.
L’instinct de comédie est à l’œuvre, celui-là qui permet de dépasser le tragique et qui d’ailleurs se promulgue au quotidien comme le souligne le metteur en scène qui parle de « tentative de théâtre naturel ».
« Notre Avare » devient alors une sorte de psychodrame familial où chacun est tenté de se regarder aussi avec les yeux des autres ou bien se trouve rattrapé par l’autre.
Et l’esprit de Molière est bien là pour nous fait rire quand nous devrions pleurer, et même si nous connaissons par cœur certaines tirades, elles deviennent dans ce spectacle les fils tendus de tant d’interprétations, qu’émus et un peu sonnés, les spectateurs se disent qu’ils ont pris un coup de jeune avec ce bon vieux Molière.
Paris, le 14 Avril 2013 Evelyne Trân