« Que croyez-vous que nous soyons venus faire sur terre ? La liberté est égoïste, Messieurs, Dames, la liberté est égoïste » hurlait un sculpteur en envoyant des pierres sur la statue de la liberté. Il était en colère, il était éméché, il était va-nu-pieds. Quand il eût rendu toute sa colère, il s’assoupit contre un arbre et rêva. Il rêva qu’il faisait l’amour avec l’arbre et cela le rendait si joyeux, que son cœur battait à l’unisson avec les feuilles chafouines de l’arbre. Il respirait comme un enfant en grommelant des mots étranges et qu’un voyeur impénitent eût pu voir sortir de sa bouche en file indienne bien qu’ils soient un peu transparents. Mais tout le monde sait que les mots naissent dans la bouche avant même qu’on leur jette un sort c’est-à-dire qu’ils soient soumis à l’épreuve du sens. Oui, les mots naissent libres mais cela est une autre histoire.
Toute une famille de mots s’était installée au pied de l’arbre et regardait en rougissant leur géniteur. « Nous sommes la vérité disaient les uns, nous sortons de la bouche d’un dormeur. La vérité est glacée disaient les autres comme la mort. Attention, ne l’oublions pas, même si c’est absurde, nous provenons du coït entre un arbre et un homme, nous parlons une langue étrangère et nous allons disparaitre bientôt parce que monsieur le dormeur va se réveiller et ne se souviendra plus de nous. Profitons de cet instant pour créer un poème inouï que peut être lui seul comprendra. Mais que croyez-vous que nous soyons venus faire sur terre ?
Nous ne connaissons pas notre géniteur, nous devons partir à la reconnaissance de son pays qui n’est autre que son corps après tout. Allons-y, il est encore temps ». Aussitôt dit, aussitôt fait, les mots s’éparpillent, courent, jouent à cache à cache sur toutes les parties visibles du dormeur, les pieds, les mains, le visage, les bras, les jambes .C’est une grande bousculade, du toboggan, des montagnes russes, car le dormeur ne cesse de ronfler et son cœur de battre à tout rompre.
« Profitons de cet instant, chantent les mots. Mais que croyez-vous que nous soyons venus faire sur terre ? » Alors l’arbre qui était en songe lui aussi, raconte qu’il s’est longtemps penché dans l’eau du rêve du dormeur, car il avait envie de marcher lui aussi, il avait envie de parler spontanément, n’est-ce pas, et il est devenu poète. D’une branche, il sonne le rappel de tous les mots, sortis de son giron et de celui de l’homme et leur dit : Restez suspendus au-dessus de la bouche de mon ami. Le jour venu, il vous dira et ce sera notre poème, merci ! »
Paris, le 24 Décembre 2011 Evelyne Trân