Reprise des Crabes de Roland DUBILLARD à LA SCALA 13, Bd de Strasbourg 75010 PARIS du 14 Avril au 26 Mai 2024 à 17 H 30 ou 21 H 30.

Avec Denis Lavant, Maria Machado, Samuel Mercer & Nèle Lavant

Scénographie Christoph Rasche

Visuels & Costumes Maya Mercer

Lumières Daniel Sestak

Musique René Nuss

Dramaturgie Charlotte Escamez / Florian Hirsch

Ingénieur son Guillaume Tiger
Montage vidéo Jean Ridereau

Assistante mise en scène Eugénie Divry

Je fais partie de ceux ou celles qui attendent du théâtre une sorte d’électrochoc. Mais cela se passe très rarement, peut-être heureusement d’ailleurs.

Ah cette envie d’être transportée dans un ailleurs qui ne soit pas aseptisé comme celui des publicités ou des échanges sur les réseaux sociaux !

Non, la pièce Les crabes que j’ai vue à Avignon en 2023 n’a pas été un électrochoc. Mais je m’en souviens parce qu’elle m’a dérangée comme une sorte de cauchemar que je n’aurai pas osé décliner moi-même. Car la langue de Dubillard est méchante. Elle parle du mal qui se cramponne à l’humain et de sa bêtise également.

Au secours ! criera une partie du public. Heureusement les personnages « affreux » sont interprétés par des artistes fort sympathiques. C’est du théâtre, zut, à ne pas confondre avec la réalité à moins que cette dernière soit pire hélas.

Voici donc ci-dessous ce que j’avais écrit après la création du spectacle à Avignon :

La pièce Les Crabes de Roland DUBILLARD date de 1971 et vient de faire l’objet d’une création au Théâtre du Chêne noir au festival off d’Avignon pour célébrer le centenaire de la naissance de l’auteur.

On pourrait parler d’une parodie de l’existence ou de la condition humaine. Que l’on aime ou pas les crabes au propre ou au figuré, il est difficile de ne   pas être impressionné par l’inquiétante atmosphère qui règne dans cette pièce dont tous les protagonistes sont roulés dans la farine langagière de l’auteur dont voici quelques perles :

« Une bouche avec un peu de bonne volonté pourrait se manger toute seule »

« Qu’est-ce que la gorge d’un rossignol, un peu de soudure et silence ! »

« Il trainait les moustiques dans son regard comme une grande tour Eiffel inutile. »  

Le synopsis plutôt simple oppose un jeune couple paumé à un vieux couple excentrique dans une villa de bord de mer appelée Le Crabe, Il semblerait que tout fuit dans cette résidence : la baignoire, les crabes et la raison. Les jeunes mangent à longueur de journée ces fameux crabes et le plombier est attendu comme le messie.

Dubillard parle de cauchemar comique. On assiste à un joyeux maelstrom d’idées mal digérées : mal de mer, mal de crabes. Il y a de la défonce dans l’air, celle de la verve « apocalyptique » de Dubillard qui tourne en dérision les tentatives infructueuses des pauvres humains de claquer la porte à la mort. Et que penser de l’affreux jojo, un abruti de première classe qui mitraille sa propre épouse ? L’homme vidé de sa substance donc de son esprit tuerait simplement par réflexe ?

Mais pourquoi donc faire entrer une mitraillette dans une pièce de théâtre ? Parce que cela fait partie hélas des accessoires de l’inventaire humanoïde.

Dubillard en cuisinier théâtral offre au public une soupe fumante de crabes qui brûle la langue.

Les interprètes de cette symphonie cauchemardesque sont excellents : Samuel MERCER en jeune homme qui ne se réveillera jamais du cauchemar, Denis LAVANT qui y baigne comme un poisson dans l’eau, Marie MACHADO en matrone un brin mélancolique et Nèle LAVANT avec sa fraicheur et sa jolie voix haut perchée.

La mise en scène fort bien lestée de Frank HOFFMANN électrise l’ambiance à souhait.

Voilà du théâtre pour rire méchamment de soi-même ou des autres. Ensuite, n’allez pas vous jeter sur une assiette de crabes !

Evelyne Trân

Article mis à jour le 9 Avril 2024

Publié également dans LE MONDE LIBERTAIRE.FR

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