Huis clos de Jean-Paul Sartre à LA FOLIE THEATRE 6, rue de la Folie Méricourt 75011 PARIS du 20 Avril au 25 Juin 2023, jeudi à 19 H 30, samedi à 18 H, dimanche à 16 H 30 et au Festival d’Avignon Off du 7 au 29 Juillet 2023.

Bande annonce

https://www.youtube.com/watch?v=VLqAoiNY-G0

Distribution

Emily Berneau
Johan Schies
Betty Pelissou
Albert Sezikeye

Mise en scène Raphaël Pelissou

Quel est l’intérêt d’assister aujourd’hui à une représentation de Huis clos – la première a eu lieu en mai 1944 – cette pièce rendue célèbre par une formule lapidaire « L’enfer c’est les autres ».

Rappelons brièvement le synopsis : Trois personnes de milieux différents se retrouvent enfermées après leur mort en Enfer.

 Jean Paul Sartre annonce tout de suite la couleur par la voix du personnage masculin Garcin qui s’étonne de ne pas voir « les pals, les grils, les entonnoirs de cuir » auxquels nous a habitués, de longue date, l’iconographie religieuse.

Voilà de quoi se moquer; l’enfer selon Jean-Paul Sartre ne peut émaner que de la conscience des individus capables de se le créer eux-mêmes sans recours à la religion.

Force est de reconnaitre que les vécus de chacun des personnages, leurs mauvaises actions ou péchés qui justifient leur présence en enfer ou en prison, ne nous touchent guère. Jean-Paul Sartre n’a pour but de faire pleurer dans les chaumières.

Il y a Garcin, un journaliste pacifiste qui vient d’être fusillé pour désertion, Ines qui se présente comme un monstre parce qu’elle a manipulé moralement sa maitresse, Estelle, une femme d’un tempérament narcissique qui a commis un infanticide.

Tous ces personnages manifestent leur odiosité pour s’affirmer les uns les autres. Ils sont infects, vaniteux, particulièrement attachés à l’idée qu’ils se font d’eux-mêmes ou à celle qu’ils veulent donner aux autres. Mais ils tournent en rond et tant qu’ils sont préoccupés d’eux-mêmes, ils ne voient pas le temps passer.

Aucun n’exprime d’empathie à l’égard de l’autre. Cela dit ils sont capables de jouer au chat et à la souris en essayant, pour passer le temps, de se séduire les uns les autres.

L’humour de Jean-Paul Sartre cingle assez souvent. « Je ne suis pas un mort de bonne compagnie » annonce Garcin. Les dialogues sont brillants et si par leur situation sociale, leurs goûts, leurs postures, les personnages n’ont rien à voir entre eux, ils rivalisent d’arrogance et de cynisme.

Le metteur en scène entend apporter à cette pièce quelques touches d’ordre fantastique voire ludique : bruitage de portes infernales qui grincent, musique et voix quelque peu sépulcrales, rire sardonique…

Mon souhait indique le metteur en scène Raphaël PELISSOU « est de créer une esthétique proche de la célèbre série des années 60, « the twilight zone ». Esthétique qui a le mérite d’apporter un peu de légèreté à la teneur philosophique de cette pièce ».

Cet aspect artificiel ne peut que faire sourire. Il n’empêche, comment ne pas se dire en écoutant pérorer ces pauvres enfermés : Dieu qu’ils sont lourds !

Les comédiennes et le comédien sont très justes mais leurs personnages n’inspirent pas de compassion.

Se peut-il qu’en enfer, l‘émotion tombe à plat. Imaginons-nous en train de faire le bilan de notre vie – cela peut arriver en cas d’insomnie – Face à face avec soi-même, je est un autre qui peut te tourmenter. Mais il n’est plus question d’amour propre mais de désir de vérité. Une chose est sûre c’est que la connaissance de soi qui transite par celle des autres est toujours en mouvement.

Voici ce que déclarait Jean-Paul Sartre en 1965 à propos des personnages de Huis clos :

 Ces gens ne sont pas semblables à nous. Les trois personnages que vous entendrez dans Huis Clos ne nous ressemblent pas en ceci que nous sommes vivants et qu’ils sont morts. Bien entendu, ici » morts » symbolise quelque chose. Ce que j’ai voulu indiquer, c’est précisément que beaucoup de gens sont encroûtés dans une série d’habitudes, de coutumes, qu’ils ont sur eux des jugements dont ils souffrent mais qu’ils ne cherchent même pas à changer. Et que ces gens-là sont comme morts. En ce sens qu’ils ne peuvent briser le cadre de leurs soucis, de leurs préoccupations et de leurs coutumes; et qu’ils restent ainsi victimes souvent des jugements qu’on a portés sur eux. A partir de là, il est bien évident qu’ils sont lâches ou méchants par exemple.

S’ils ont commencé à être lâches, rien ne vient changer le fait qu’ils étaient lâches. C’est pour cela qu’ils sont morts, c’est pour cela, c’est une manière de dire que c’est une mort vivante que d’être entouré par le souci perpétuel de jugements et d’actions que l’on ne veut pas changer. De sorte que, en vérité, comme nous sommes vivants, j’ai voulu montrer par l’absurde, l’importance chez nous de la liberté, c’est à dire l’importance de changer les actes par d’autres actes. Quel que soit le cercle d’enfer dans lequel nous vivons, je pense que nous sommes libres de le briser. Et si les gens ne le brisent pas, c’est encore librement qu’ils y restent, de sorte qu’ils se mettent librement en enfer.

Vous voyez donc que, rapports avec les autres, encroûtement et liberté, liberté comme l’autre face à peine suggérée, ce sont les trois thèmes de la pièce. Je voudrais qu’on se le rappelle quand vous entendrez dire : « l’enfer c’est les autres. »

Jean-Paul Sartre n’aura pas le dernier mot. D’ailleurs, il le laisse à Garcin qui a cette ultime sortie « Eh bien continuons. »

C’est au public de se faire juge de cette pièce « infernale » cela va sans dire.

Le 10 mai 2023

Evelyne Trân

N. B : Article initialement publié sur le MONDE LIBERTAIRE.FR

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