
Nous aurions toujours quelque chose à dire qui témoignerait de notre colère, notre indignation ou nos ressentiments mais le plus souvent nous nous taisons de crainte d’être débordés par l’émotion.
C’est sur ce terrain, me semble-t-il, celui de l’émotion qui est un sable mouvant que travaille l’écrivaine Annie ERNAUX.
Le sable mouvant de l’enfance laisse des traces « immortelles » dans la mesure où elles restent souvent isolées dans un coin de la mémoire n’ayant plus rien à voir avec la vie d’adulte.
Cela parait évident, l’écriture offre une curieuse perspective à l’imaginaire. Un écrivain se méfie des mots de la même façon qu’un peintre peu prompt à se satisfaire de ses premiers coups de pinceaux sur la toile.
La vérité, on s’en fout, c’est une véritable lagune, de plus nous le savons tout dépend de la perspective que l’on s’offre qui s’avère le plus souvent décalée par rapport à l’objectif.
« L’autre fille » ce récit d’Annie Ernaux pourrait s’intituler lettre à l’absente. Il se trouve que cette absente est surlignée par quelques traces, un nom sur un livret de famille et une photo de bébé. Il s’agit de l’enfant née et morte avant la naissance de la narratrice dont ses parents ne lui ont jamais parlé. Cette absente aurait pu rester lettre morte s’il n’y avait eu cette gifle émotionnelle que reçut Annie Ernaux en surprenant une conversation de sa mère avec une voisine, lui révélant l’existence d’une sœur « plus gentille que l’autre ».
Cette gifle est probablement l’évènement déclencheur du récit parce qu’elle rejette soudain l’enfant qu’était Annie Ernaux à dix ans dans ce camp de l’autre.
Cet autre bouc émissaire de toutes les projections inimaginables, parce qu’impossible à cerner.
« Je est un autre » disait Rimbaud. Dans ce récit, il est vraiment question d’une carence affective qui justifie un désir d’incarnation ou tout le moins l’explicite.
Désir d’une sœur à jamais inatteignable ? La transposition au théâtre de ce récit d’une dense sobriété, permet de relever ce désir d’incarnation, grâce à la mise en scène chaleureuse de Nadia Rémita et l’hypersensibilité da la comédienne Laurence Mongeaud qui alchimise cette autre, lui offre sa présence.
Paris, le 17 Juin 2019
Evelyne Trân