Photo Christophe Loiseau
Tournée 2019 / 2020
Du 2 au 6 avril 2019 : Le Théâtre du Nord, Centre dramatique nationale Lille-Tourcoing (59) •
Le 16 et 17 mai 2019 : Théâtre du fil de l’eau, Pantin (75), dans le cadre de la Biennale internationale des arts de la marionnette de Paris •
Entre le 20 et le 29 septembre 2019 : La compagnie sera le fil rouge du Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes, Charleville-Mézières (08) •
Fin 2019 : Le Boulon – Centre nationale des arts de la rue et de l’espace public de Vieux-Condé (59), en partenariat avec Le Phénix – Scène nationale Valenciennes • Début décembre 2019 : EPCC la Barcarolle – Spectacle vivant Audomarois (62), Le Palais du Littoral à Grande-Synthe (59)
Distribution
Mise en scène | Scénographie Claire Dancoisne
Adaptation Francis Peduzzi
Assistante à la mise en scène Rita Tchenko
Avec Jaï Cassart, Manuel Chemla, Anne Conti, Thomas Dubois, Hugues Duchêne, Gaëlle Fraysse, Gwenael Przydatek, Rita Tchenko
Création musicale Bruno Soulier
Création lumières Emmanuel Robert
Collaboration artistique Hervé Gary
Création des marionnettes Pierre Dupont
Création costumes Claire Dancoisne, Chicken, Jeanne Smith, Perrine Wanegue
Constructions Bertrand Boulanger, Chicken, Grégoire Chombard, Alex Herman, Olivier Sion
Régie générale et lumières Vincent Maire
Régie son François-Xavier Robert
Régie plateau Hélène Becquet
Ce qui crève les yeux, la misère, la douleur, la méchanceté ou l’amour, Victor Hugo l’a exploré tout au long de ses œuvres romanesques, théâtrales et poétiques. L’émotion a toujours guidé sa plume, elle est vitale,débordante, primaire. Pour la représenter, on peut la raccorder à cette grande vague d’Hokusai, saisie dans l’instant ou l’éternité.
L’onde de choc toujours qui stimule l’imagination, transfigure le blafard, illumine l’inerte, choque la raison, est manifeste dans l’Homme qui rit, écrit en deux années de 1866 à 1868, un roman baroque, philosophique, politique, poétique qui met en scène un personnage embrassant tous les malheurs du monde.
Il s’agit de Gwynplaine, abandonné par sa famille noble, défiguré par des comprachicos (voleurs d’enfants), sauveur d’un bébé orphelin et aveugle, Déa, recueilli par un vagabond libertaire Ursus. Devenu Lord, Gwynplaine a toute légitimité pour prendre la parole au nom de la misère et dénoncer la décadence de l’aristocratie en Angleterre, au 18ème siècle, sous le royaume de la reine Anne, représentée notamment par les personnages de Josiane et de Barkilfedro.
Cette trame complètement romanesque, invraisemblable, devient le levier des considérations philosophiques et politiques heureusement relevées par l’inspiration poétique, visionnaire de Hugo.
Dans le spectacle qui réunit deux marionnettes celle de Gwynplaine et de Déa et plusieurs comédiens, la metteure en scène Claire Dancoisne s’est visiblement imprégnée de la charge éruptive et baroque du verbe hugolien avec son propre imaginaire où se mêle sa fascination pour les créatures qu’elles soient objets, humaines ou marionnettes.
L’étoffe du merveilleux est un tissu ardent mais arrache-t-on son voile à une montagne, il faut laisser faire les nuages ou le soleil ou la neige pour comprendre que même une montagne, semble -t-il, immobile, n’est jamais tout à fait la même à nos yeux.
Mais en vérité pour parler d’une même chose, nous nous référons toujours à une première impression. D’où un décalage fortuit qui freinera nos perceptions futures. L’humain est ainsi, il s’immobilise pour ne pas être appelé par le vertige ou la grande vague. C’est toujours l’histoire d’un fétu de paille ébloui par des forces cosmiques qui le dépassent :
« Avoir sur soi l’infini comme un cachot, avoir autour de soi l’immense évasion des souffles et des ondes, et être saisi, garroté, paralysé, cet accablement stupéfie et indigne …On se sent jouet. Jouet quel mot indigne ! »
« L’âme de l’homme redoute cette confrontation avec l’âme de la nature »
Cette attraction pour le mystère qui découle des éléments de la nature est d’ordre animiste. C’est la souffle, l’intention qui prédomine. A ce stade dans son lyrisme, le poète Hugo fait figure de celui qui entend abolir toutes les frontières entre l’inanimé et l’animé puisque le souffle, l‘anima touche toutes les créatures.
Photo Christophe Loiseau
Les personnages s’affirment en tant que créatures. Ils se délogent de leurs cadres, ils entrent en scène. Ils déboulent d’une galerie de caricatures car c’est leur expression qui importe, il s’agit d’être vu, montrer, être montré, d’annoncer ses goûts et ses couleurs et surtout ses sentiments comme dans un bal masqué.
Photo Christophe Loiseau
Les monstres ne sont pas ceux que nous croyons. Après avoir parlé avec la metteure en scène, une évidence s’est imposée, le moins monstre de tous les personnages, c’est L’homme qui rit, Gwynplaine représenté par une marionnette, la créature la plus humaine de tout le spectacle.
Le spectacle essentiellement visuel nous offre des tableaux sublimes avec une sobriété de décors indiscutable. Quelle magnifique scène que celle de la tempête où l’on voit juste des silhouettes accrochées à des planches qui se déhanchent sous les vagues.
La scène finale où Gwynplaine devenu Lord prend la parole et devient la risée de la chambre des lords et de la reine est fabuleuse.
Il semble que Victor Hugo quasiment submergé par sa vision de L’homme qui rit n’ait pas réussi à le faire descendre sur terre sans doute parce que voulant représenter la misère, il savait qu’elle n’avait pas sa place dans l’arène politique. Gwynplaine est un personnage fantastique, une sorte de Frankenstein, il est seul. Qui invitera de nos jours un SDF à la tribune du parlement ou du sénat ?
Gwynplaine fait partie du quart monde. Enfant issu d’une famille noble, abandonné, devenu monstre de foire après subi la défiguration de son visage, élevé par un forain sans toit ni loi, il cumule tous les attributs d’une destinée tragique et marginale.
Tel quel, absolument romanesque, il peut continuer à hanter les esprits. D’ailleurs, derrière l’épouvantail, se dresse la silhouette de Victor Hugo, c’est son propre discours politique qu’il prête à L’Homme qui rit, et la risée que subit le personnage, Victor Hugo l’a lui-même éprouvée.
Derrière L’homme qui rit, il y a l’homme blessé dans sa propre représentation, le mystère propre à Hugo, grand bourgeois, bouleversé par le spectacle de la misère. Il eut pu dire « L’homme qui rit, c’est moi »

Impressionnant par la beauté de ses tableaux tous inspirés par les descriptions effarantes de Hugo, l’inquiétante étrangeté des créatures monstrueuses et comiques, mouvementée par une musique très éclectique, le spectacle de Claire Dancoisne et de toute son équipe, constitue une magnifique récréation de L’homme qui rit magnifié par une marionnette tragiquement humaine.
Paris, le 5 Avril 2019
Evelyne Trân