Photo Patrick BERGER
texte et mise en scène Jean-Louis Benoit
décor Jean Haas, son Stéphanie Gibert, lumière et vidéo Pascal Sautelet, assistant vidéoOlivier Bemer, costumes Marie Sartoux, régie son et vidéo Gaultier Patrice, régie d’accueilMustafa Benyahia, production et diffusion Les 2 Bureaux – La Gestion des Spectacles
Avec Léna Bréban
Rares sont les personnes aujourd’hui qui font appel à un peintre pour faire leurs portraits. Le selfie a remplacé cette démarche qui peut paraître narcissique. L’art du portrait, c’est celui de sonder l’âme bien plus que l’apparence et d’être capable de suspendre au bout de son pinceau les frontières spatio temporelles. L’exercice en somme est aussi périlleux qu’une danse sur n’importe quel sol; le souffle, la respiration du peintre passent par le pinceau qui poursuit, prolonge le regard de l’artiste. Le metteur en scène Jean- Louis BENOIT est un portraitiste, son pinceau c’est son interprète, sa toile, la scène, et ses modèles inspiratrices, deux femmes qui l’ont interpellé à travers leurs propos recueillis dans des interviews diffusées lors de l’émission « Les pieds sur terre » à France Culture.
« Elle parlait très vite, je ne comprenais pas tout ce qu’elle disait » raconte Jean-Louis BENOIT surpris par le témoignage d’une garde-barrière capté à la radio, par hasard, alors qu’il était en voiture. Au moment même où il s’interroge sur l’existence des gardes-barrières, il entend cette femme parler de leur prochaine disparition. Et pendant ce temps, la voiture file à toute vitesse.
Sans nul doute, il y a ce sentiment chez Jean-Louis BENOIT de ce temps à plusieurs vitesses. Impossible de s’arrêter lorsque l’on conduit sur la vision, par exemple, d’une femme assise sur le bord de la route, ni même de lui faire signe.
A cet égard le témoignage de la garde barrière est éloquent, elle qui voit tous les jours passer des TGV raconte que sa vie est arrêtée, terriblement solitaire, qu’elle s’éprouve oubliée, abandonnée, que pour une misérable paie, elle a dû sacrifier sa vie familiale. Bientôt, elle sera effacée du paysage puisque personne n’a envie de s’intéresser à la vie de gardes barrières en voie de d’extinction. Au début pourtant, elle racontait sa fierté de protéger les étourdis qui s’engagent sur les rails sans se soucier des TGV, le plaisir de voir les conducteurs lui dire bonjour de leurs cabines. Il y a aussi l’anecdote de cet habitué qui un jour s’est envolé avec son vélo, culbuté par le train alors qu’il faisait le trajet quotidiennement La garde-barrière qui s’appelle Monique en a vu des choses, en a compris beaucoup, mais sa solitude lui pèse.
Le 2ème portrait c’est celui de Myriam, une infirmière de nuit en hôpital psychiatrique. Elle aussi est très impliquée dans son travail. Elle raconte ses longues nuits où elle veille sur les patients qui lui confient leurs angoisses, une patiente lui livre même son poème du jour. Myriam contrairement à Monique n’est pas isolée. Sa vie nocturne se confond avec celle de toutes ces personnes « folles » qu’elle côtoie, qu’elle est censée protéger. Elle parle d’elles tranquillement avec émotion, oui, elle aime ce travail difficile, elle s’y adonne complètement jusqu’à s’oublier elle même.
Pour faire entendre ces interviews restituées littéralement, sans qu’un mot ait été enlevé ou ajouté, Jean-Louis BENOIT a opéré ce qu’il appelle une dénaturalisation. Cela passe par le corps, les gestes, le souffle de la comédienne formidable Lena BREBAN qui incarne les deux personnages. Nous n’avons pas l’impression d’écouter des monologues mais de véritables récits de vie qui jaillissent comme si l’oreille des spectateurs devait aussi être sollicitée par l’imaginaire.Car les histoires de vie de Myriam et Monique restent suspendues, flottantes, mouvantes, elles ne tiennent pas seulement aux mots qui les exprime, elles demeurent dans l’intention, elles se sont échappées de leur intimité, oui comme des ruisseaux entendus de très loin qui tout à coup baignent nos pieds.
Pari réussi de Jean-Louis BENOIT, celui de faire ouïr au théâtre ces professions de vie, garde-barrière, garde-fous, garde vie, garde souffle. Ces deux femmes ne sont pas des Pénélopes mais presque, elles pèsent le temps, elles l’épongent, quitte à en souffrir.Cette consistance charnelle du temps nous émeut profondément.
Paris, le 13 Mars 2016 Evelyne Trân