Adaptation et mise en scène Salomé LELOUCH
décor et costumes Natacha MARKOFF
Musique originale Pierre Antoine DURAND
Lumières Denis KORANSKY
avec Jacques BOURGAUX, Bertrand COMBE et Mikaël CHIRINIAN
Le mariage de M WEISSMANN, voilà qui résonne un peu comme le titre d’une pièce de FEYDEAU. Sauf que le patronyme titille un peu l’oreille, ne s’agirait-il pas d’un nom juif ? Il n’importe dès qu’il est question de mariage, c’est la fête qui vient à l’esprit. Et en vérité la pièce tirée du roman « INTERDIT » de Karine TUIL par Salomé LELOUCH est fort réjouissante.
En résumé, M WEISSMANN, un honnête homme âgé de 70 ans découvre qu’il n’est pas juif au nom de la Loi de Moise, le jour où il décide se marier avec une dame juive. C’est un véritable choc puisque toute sa vie durant, il s’est cru de bonne foi juif, ayant dû porter l’étoile jaune et ayant été déporté pendant la guerre. Cette révélation le conduira chez un psychiatre incapable de résoudre son dilemme identitaire qui a des conséquences matérielles sinon affectives puisqu’il doit renoncer au mariage.
Mais qui donc décrète que vous êtes ceci ou cela et au nom de telle loi ferme la porte à vos droits universels ? Si ce n’est pas la loi religieuse, c’est la loi administrative qui peut se moquer de vous. Certains Français sont bien placés pour raconter leurs mésaventures identitaires lorsqu’au moment de refaire leur carte d’identité, ils ont essuyé un refus catégorique de l’administration parce qu’ils ne pouvaient produire la preuve que leurs grand ou arrières parents avaient été nationalisés.
Ne pouvant prouver qu’il est juif, M WEISSMAN devient flou à ses propres yeux et cette fluidité existentielle est de nature à lui faire prendre conscience de la bêtise humaine.
Mieux vaut en rire qu’en pleurer. Souvenons-nous tout de même de cette réflexion de SHYLOCK le marchand de Venise de Shakespeare qui s’interroge sur sa différence par rapport aux autres, en tant que Juif :
« Un Juif n’a-t-il pas des yeux ? Un Juif n’a-t-il pas des mains,des organes,des dimensions, des sens, de l’affection, de la passion ; nourri avec la même nourriture, blessé par les mêmes armes, exposé aux mêmes maladies, soigné de la même façon, dans la chaleur et le froid du même hiver et du même été que les Chrétiens ? Si vous nous piquez, ne saignons-nous pas ? Si vous nous chatouillez, ne rions-nous pas ? Si vous nous empoisonnez, ne mourons-nous pas ? Et si vous nous bafouez, ne nous vengerons-nous pas ?
Si nous sommes semblables à vous en tout le reste, nous vous ressemblerons aussi en cela. » ( (cf. Wikipédia).
Cette tirade vaut pour n’importe quel individu qui subit l’ostracisme, celui qu’on nomme étranger.
Admettons que nous puissions être différents suivant le regard que nous portent les autres. A quelle identité se raccrocher pour tenir debout si les autres doutent de vous. Pas si évident d’être perçu comme un étranger.
M WEISSMANN devient étranger pour lui-même. Une cascade d’interrogations le submerge et il finit par se dédoubler en juif et non juif. Sur scène ses multiples voltes faces sont fort bien exprimées par le comédien.
C’est un véritable tourbillon théâtral d’autant plus que Salomé LELOUCH a l’idée judicieuse de faire jouer tous ses interlocuteurs, un rabbin, la fiancée difforme, le marabout africain, les médecins, la belle infirmière par seulement deux interprètes.
L’auteure n’y va pas de main morte pour secouer la crasse de nos peaux mortes qui recouvrent nos pauvres identités. Son humour est dévastateur et avec cette lueur qui brille dans les yeux de tous les comédiens, nous sentons l’escapade vers la seule identité qui compte, notre chair humaine, sauvée par le sourire d’un nourrisson, à poil.
Cela démange la plante des pieds, les charbons sont quelque peu ardents, mais nous essuyons des larmes de rire, secoués jusqu’à l’occiput. Cette bourrasque théâtrale signée Salomé LELOUCH et servie par d’excellents comédiens est tout simplement salutaire.
Que ceux qui n’ont jamais eu d’épines dans les pieds nous lancent leur première pierre théâtrale. Gageons qu’ils auront du mal à surpasser la virtuosité de ce spectacle littéralement audacieux.
Paris, le 16 Novembre 2014 Evelyne Trân
