- Éric Ruf: Le Spectre, Premier Comédien, Fortinbras
- Alain Lenglet: Horatio
- Denis Podalydès: Hamlet
- Clotilde de Bayser: Gertrude
- Jérôme Pouly: Laërte
- Laurent Natrella: Bernardo, Valtemand, 2ème Comédien, le Marin, 1er fossoyeur, Le Prêtre, L’Ambassadeur d’Angleterre
- Hervé Pierre: Claudius
- Gilles David: Polonius
- Jennifer Decker: Ophélie
- Elliot Jenicot: Rozencrantz et Guildenstern
- Benjamin Lavernhe: Marcellus, Reynaldo, 3ème Comédien, Un Capitaine, Un Messager, Osrik, 2ème fossoyeur
La tragédie d’Hamlet est une merveilleuse comédie, infiniment moderne grâce à ce personnage d’ Hamlet, halluciné qui donne du fil à retordre au sens commun.
« Est-il fou, n’est-il pas fou » ne cessent de se demander ses protagonistes, son beau-père sa mère, sa fiancée, son ami. Et Dan Jemmet n’est-il pas fou d’avoir l’idée de regrouper tous ces personnages dans un club-house, très british. Quelle décadence !
Faut-il donc nous frotter les yeux au risque de les faire pleurer pour comprendre que Shakespeare griffe de façon très aigüe les simagrées de la vertu, de l’apparat, de l’étiquette.
Sous les traits de Denis PODALYDES, Hamlet devient un déboussolé libertaire qui ne croit plus à rien. Adieu famille, adieu fiancée, adieu ami ! Parce qu’un spectre vient de lui annoncer que son beau-père et sa mère complice sont des traitres, toutes ces croyances s’effondrent, il ne lui reste plus qu’à inventer, fomenter sa propre tragédie. Ultime instinct de survie ?
C’est l’instinct qui prime chez Dan Jemmet avec ce clin d’œil aux footballeurs, au coup de tête de Zinedine Zidane. Zinedine Zidane, Hamlet ! Allons donc, ne dites pas n’importe quoi !
To or not to be, être fou ou ne pas l’être. C’est tout de même fou de vivre dans ces conditions. Il n’y a pas de posture qu’envisage Hamlet qui puisse lui donner raison. Car c’est sa clairvoyance même, sa lucidité qui auront raison de la vie d’Ophélie, la pure, double féminin d’Hamlet.
Ce qui blesse, c’est la chair à l’étalage, la trivialité de Gertrude et du roi Claudius. Chez Dan Jemmet, la tragédie d’Hamlet a des accents d’Ubu roi. Hamlet n’aurait-il donc pas de chair, aurait-il été chassé de sa propre chair par la vision d’un spectre ?
Est-ce la vie qui se moque de la mort ou l’inverse ? Dans cette fameuse scène des fossoyeurs, tout explose. Hamlet se trouve déjà aux abonnés absents. Il sait qu’il va rejoindre tantôt Ophélie.
Si on a bien compris, les spectres ne meurent pas. Hamlet sait-il qu’il s’abuse lui-même. Capitaine de la folie ordinaire, il monte au créneau, désabusé, avec le panache d’un Cid ou d’un Cyrano. Il coupe le souffle aux relents élégiaques et doloristes d’un Hamlet dépressif, pour laisser filer le seul accent qui compte, sa liberté. Nous sommes sur un nuage, il est là le spectre de la liberté.
Elle est si riche la langue de Shakespeare que tous les accents sont permis. Que la belle scène de la Comédie Française soit cernée par deux cabines de water-closets, c’est plutôt anodin vu les circonstances mais ce n’est pas gratuit. Combien de penseurs de Rodin ont assouvi leurs démangeaisons existentielles dans ces lieux de méditation.
Dan Jemmet dans sa note d’intention dit « La question est pour moi de savoir si des personnages peuvent avoir des états d’âme Shakespeariens dans un lieu plutôt banal ».
Cela dit, les comédiens ne sont pas banals. Denis PODALYDES enrichit de sa présence quelque peu « électron libre » le personnage d’Hamlet. Hervé PIERRE en Claudius et Gille DAVID en Polonius sont particulièrement réjouissants.
Dès lors qui nous empêche de revenir à la voix envoûtante de Laurence Olivier, en susurrant par devers soi « Wether tis nobler in the mind to suffer … ». Hamlet a plusieurs voix et pourrait même être interprété par une femme parce qu’il est humain, tout simplement humain.
Et ce n’est pas un mince mérite de Dan Jemmet de rendre humains ces personnages Shakespeariens en montrant du doigt leur aspect grotesque avec un humour de scaphandrier. L’émotion est d’ordre sarcastique, cynique mais elle vrille cependant emportée par la poésie de Shakespeare et ses bons mots, ses aphorismes, magnifiques brèves de comptoirs.
Il y a de la tragédie dans la bouffonnerie, et Shakespeare qui peut caresser à mains nues le crâne du bouffon Yorick nous contemple à travers ses yeux caves.
Paris, le 11 Novembre 2013 Evelyne Trân