Avec : Stéphanie Barreau, Agathe Cemin, Gabriel Dermidjian, Loup-Denis Elion, Gil Galliot, Emmanuel Jeantet, Dédeine Volk-Leonovitch
Scénographie : Alain Lagarde
Musique : Nicolas Montazaud, Mathilda May
Collaboration artistique : Jean-François Auguste
Lumières : Roberto Venturi
Costumes : Valérie Adda
Collez votre œil dans l’embouchure d’un entonnoir et laissez-vous glisser. Vous êtes peut être dans un film de Méliès, vous clignez de l’œil sans arrêt car une grosse tache vous brouille la vision. Ajourez donc votre perspective, vous ne rêvez pas, on vous repasse au théâtre, sur une grande scène, juste un petit lambeau de votre quotidien au boulot. Une toute petite goutte grossie à la loupe qui résume d’un trait 20, 10, 30 années de travail.
Regroupés dans un bureau open space, les employés vivent dans leur bulle, et sous la houlette de Mathida May, fiévreuse Mary Poppins, qui les tient à la baguette, ils refont les sempiternels gestes qui justifient leur existence : pianoter sur un ordinateur, éplucher des tonnes de paperasses, se maquiller, aller aux toilettes et surtout répondre au téléphone.
Au ralenti, tous ces gestes répétitifs deviennent très drôles. De temps en temps sous la belle loupe de Mathilda May, ces employés zigotos se figent, ils s’agglutinent les uns sur les autres comme pour former un sculpture vivante qui rappelle les pièces montées de valises et d’horloges du sculpteur ARMAN devant la gare Saint Lazare et qui, hélas, n’y sont plus.
Sur la bobine, une journée de travail c’est tellement ordinaire, qu’il n’y a qu’à grossir un détail et rêver qu’un grain de sable va s’échapper et faire exploser un temps écumé sans relâche. Ces petites bestioles d’employés englués dans leurs habitudes, leurs rituels, anniversaire, café, thé, pause cigarette, se libèrent dès qu’une providentielle musique s’échappe de leurs portables. Et bien entendu, nous les voyons rêver tout haut d’amour et d’eau fraiche.
Sérénade, musique électro choc, giclent sur ces pauvres individus qui s’affairent comme des cochons d’inde dans un laboratoire. On se passe volontiers d’écouter leurs conversations, car ils parlent « borborygme » une vulgaire langue étrangère qui sied amplement à leurs occupations.
Voilà un spectacle qui peut bien hérisser le poil de ceux qui en connaissent un rayon sur les vertus du travail en communauté. En enfilade qu’ils se souviennent du fabuleux hangar du film d’Orson Wells où l’on voit une multitude dactylos en noir et blanc faire grincer leurs machines à écrire.
Kafka revisité par Jean Christophe Averty avec un peu de West Side Story, et une louche de film muet burlesque de Buster Keaton ou bien une gorgée de miel à la Tati. Sans nul doute le regard de Mathilda May est perspicace. Cela dit, elle est trop généreuse et il faut faire preuve d’un appétit d’ogre pour déguster tous les plats qu’elle nous sert.
Mais nous pouvons rendre grâce à son savoir-faire de chorégraphe, les comédiens sont époustouflants, impressionnants .On ne peut s’empêcher en les contemplant de songer au sort du pauvre fonctionnaire d’assurance de Kafka qui se transforme en cloporte. C’est trop drôle ! Sauve qui peut, chers employés !
Paris, le 14 Octobre 2013 Evelyne Trân