
Les dieux ont condamné Sisyphe à rouler un rocher jusqu’au sommet d’une montagne dont la pierre retombe par son propre poids.
Sisyphe, c’est l’homme ; et, le rocher, c’est son destin. Depuis ce mythe venu de l’antiquité grecque, Albert Camus nous invite à une réflexion sur la condition humaine.
Collaboration artistique: Jean-Claude Fall
Avec : Pierre Martot
On pourrait partir du bout d’une seule phrase et dérouler le fil comme celui d’une bobine alors même que l’image de Sisyphe lâchant son rocher nous submerge. Mais il faut de l’audace sans doute, cela s’appelle allumer la mèche comme Pierrot le fou dans le film de Godard.
Mais qu’est-ce qu’un bout de phrase face à la réalité. Une chose est sûre, il y a plus de mille oreilles pour percevoir différemment une seule phrase, voire même un mot (car le mot ne serait que le réceptacle d’un message, une adresse en somme.)
L’audace, Albert CAMUS n’en manque pas. Il n’a pas 30 ans lorsqu’il publie en 1942 Le mythe de Sisyphe, essai sur l’absurde. Ne pas oublier qu’avec cet essai, le lecteur rentre dans le territoire des idées. Le texte débute par deux phrases » Il n’y a qu’un problème de philosophie vraiment sérieux : c’est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d’être vécue, c’est répondre à la question fondamentale de la philosophie. »
Il faut s’abstraire de l’évocation de l’événement du suicide d’une personne proche pour en parler. Camus rattache le suicide à un sentiment d’absurdité de la condition humaine. De fait, il porte le poids de l’image d’un père qu’il n’a pas connu, fauché en pleine jeunesse pendant la 1ère guerre mondiale. Un fait « divers » biographique qui peut être qualifié d’absurde ou pas.
Qu’est-ce donc que l’absurde pour Camus ? Dans le mythe de Sisyphe il se décline en plusieurs chapitres : un raisonnement absurde, l’homme absurde, la création absurde.
Pierre MARTOT qui s’empare du mythe de Sisyphe rassure le néophyte sans culture philosophique. Il explique que « Si nous sommes au théâtre , c’est aussi parce qu’Albert Camus appuie sa réflexion sur l’expérience sensible ».
Ce qui frappe dans l’interprétation de Pierre Martot, c’est la juvénilité du penseur Camus. Et la vérité, c’est que sa pensée très vive engage à la discussion . Oui, il est possible de ne pas être d’accord sur tous les points avec ce jeune homme Camus. Et en somme, c’est cela qui est exaltant.
Il se dégage de cet essai, l’idée que c’est Camus lui-même qui se projette sur Sisyphe lequel dans le fond pourrait endosser le concept de résilience actualisé par Boris CYRULNIK.
Découvrir qu’une pensée, c’est de la vie aussi et de l’expérience sensible grâce à sa trajectoire au sein même d’une scène de théâtre, c’est merveilleux.
Pendant une heure, le public a devant lui un jeune homme qui s’appelle Camus qui exhorte le monde à se réveiller, à hurler contre l’absurdité que fabrique les hommes. Il s’agit peut-être d’un hurlement du soleil mais aussi un appel à la sérénité, une sérénité qui s’engage à ne pas lâcher prise, qui s’infiltre de soleil pour persister à croire en l’homme. Les Dieux devraient se méfier de l’eau qui dort chez Sisyphe. Certes il tombe mais il se relève…
« Il faut imaginer Sisyphe heureux ». Il ne s’agit pas d’être béatement optimiste mais d’essayer de comprendre l’homme et la femme face à la vie qui leur est réservée dans un monde hostile . Cela oblige à déporter son regard de soi vers les autres. Où va le monde, est-on né pour être malheureux ?
CAMUS rayonnera au Théâtre TRANSVERSAL grâce à Pierre MARTOT. Ce dernier a la grand mérite de rendre plus qu’accessible, particulièrement attrayant un texte exigeant qui devient par l’art du comédien, un objet théâtral, d’une force inattendue, inouïe !
Evelyne Trân
Article mis à jour le 29 Juin 2025
L’article est également publié dans Le Monde Libertaire.fr
N.B : Pierre MARTOT est l’invité de l’émission Deux sous de scène sur Radio Libertaire. 89.4, en 2ème partie, le Samedi 21 Juin 2025 en direct. Ensuite en podcast sur le site de Radio Libertaire.
Le spectacle a été joué au Théâtre de l’ESSAION 6, rue Pierre au lard 75004 PARIS – Du 12 mai au 30 juin 2025.