
De Marguerite Duras
© Éditions Gallimard
Mise en scène Jacques Osinski
Avec Sandrine Bonnaire, Frédéric Leidgens et Grégoire Oestermann
Texte du prologue dit par Denis Lavant
Lumières Catherine Verheyde
Costumes Hélène Kritikos
Dramaturgie Marie Potonet
Musique
Jean Sebastien Bach: Das alte Jahr vergangen ist BWV 614et Gottes Zeit ist die allerbeste Zeit (Sonatina BWV 106) – Actus tragicus
Transcription Gyorgy Kurtág et interprétation Marta et Gyorgy Kurtág
Photographie © Pierre Grosbois
Qu’est-ce qui peut pousser un spectateur, une spectatrice à aller voir l’amante anglaise ?
L’aspect sensationnel du fait divers d’où est tirée la pièce, à savoir, le meurtre de son mari par Amélie Rabilloud qui après avoir découpé son cadavre en jeta les morceaux depuis un pont dans des trains ?
Non, tout le monde n’a pas de pulsion meurtrière que l’on pourrait ranger dans la catégorie pulsion de mort, mais il n’empêche, à s’examiner plus profondément, comment ne pas se souvenir de mouvements vite réfrénés mais bien présents : “Celle-là ou celui-là je voudrais qu’il ou elle disparaisse !».
Le thème de la disparition, il se trouve dans le texte de la pièce, formulé par Claire LANNES, un personnage créé par Marguerite DURAS .
Ce qui est étonnant, c’est qu’il y a quelque chose d’abstrait dans le fait d’évoquer une disparition. Et c’est tout le contraire d’une vision d’une femme en train de découper en morceaux un cadavre.
C’est une chose de penser à une disparition, c’en est une autre de la provoquer. L’interrogation est d’ordre métaphysique et c’est une préoccupation toute durassienne que n’a pas forcément un/une meurtrier/ère. Le terme “disparition” n’est pas seulement un mot valise ; d’un point de vue existentiel nous baignons dans le phénomène de disparition car nous trainons toujours avec nous du passé, le nôtre au présent. Est- ce à cause de ce sentiment d’évanescence que le/la meurtrier.ère. a recours à un acte de boucherie pour visualiser et ancrer dans sa chair le phénomène de disparition qui interroge aussi bien la vie que la mort.
Faudrait-il dire qu’il n’ y a rien à comprendre. Claire Lannes ne s’explique pas elle-même son geste.
Alors il n’ y a pas d’autre terme que celui de folie pour caractériser son comportement.
L’interprétation de Sandrine BONNAIRE est saisissante.
Nous assistons sur l’instant à un portrait de femme qui porte en elle cela d’obscur et de douloureux qui nous parle, bien au-delà du sentiment de rejet vis-à-vis d’une meurtrière.
Une meurtrière dépassée par son geste et dépassée par une vie dont elle donne le sentiment qu’elle lui a échappé et lui échappe toujours comme si elle ne s’appartenait pas et qu’elle pouvait à tout moment sombrer faute de pouvoir s’accrocher à quelque chose, à quelqu’un.
Pour une fois, face à l’interrogateur qui manifeste de l’intérêt à son égard, elle peut risquer ces mots “Ecoutez moi ! ”.
La voix de Sandrine BONNAIRE résonne avec tant de douceur que l’émotion nous gagne. Non, nous n’avons pas eu devant nous une meurtrière mais une femme malade, meurtrie par l’indifférence de son entourage, une femme dépressive mais encore capable de croire au bonheur, celui d’avoir un jardin . Parce qu’elle est là cette idée, même dissimulé, le désir de vivre nous concerne tous, bien qu’il soit paradoxal, en l’occurrence dans cette pièce, qu’il puisse s’exprimer après un meurtre.
Ce sont les personnages eux-mêmes qui plantent le décor. La scène est nue. Il faut écouter quasiment au compte-gouttes ce qu’ont à dire les différents protagonistes, le mari Pierre Lannes, interprété par Grégoire OESTERMANN, qui exprime un tel retrait vis-à-vis de sa femme qu’il inspire sinon l’antipathie, la tristesse. Quant à l’interrogateur interprété par Frédéric LEIDGENS qui n’est pas toujours visible sur la scène, sa voix a quelque chose de coupant qui rassure pourtant parce qu’elle apporte du concret en incarnant des questions qui doivent atteindre l’énigmatique Claire Lannes.
Le nom même de Claire Lannes est musical. Il y a du sablier musical dans la mise en scène de Jacques OSINSKI au point que les interprètes deviennent les instrumentistes hors pair du texte de Duras comme s’ils officiaient non pas une messe mais une histoire de vie au théâtre, l’ici et le maintenant avec la grâce d’un Laurent Terzieff.
Le 31 Octobre 2024
Evelyne Trân
N.B : On en parle à l’émission DEUX SOUS DE SCENE sur Radio libertaire 89.4, le samedi 26 Octobre 2024.
Extrait revue théâtrale :
N. B : Article également publié dans le Monde Libertaire.fr