REPRISE DE FIN DE PARTIE DE SAMUEL BECKETT au Théâtre de l’Atelier 1 Place Charles Dullin 75018 PARIS du 5 Juin au 14 Juillet 2024 dans une mise en scène de Jacques OSINSKI.

Du merc. au sam. à 21h (juin) / à 20h (juil.)
Le dimanche à 16h

Exceptionnelles (les 11 et 18 juin)

Relâches (les 20 et 21 juin)

Avec Denis Lavant (Clov), Frédéric Leidgens (Hamm)Claudine Delvaux (Nell) et Peter Bonke (Nagg)

Scénographie Yann Chapotel
Lumières Catherine Verheyde
Costumes Hélène KritikosPhotographies Pierre Grobois

Texte publié aux Éditions de Minuit

Fin de partie, fin de vie. Mais pourquoi donc aller voir une pièce de Beckett ; celle de Fin de partie, par exemple qui met en scène des situations de l’existence déprimantes, voire cauchemardesques ? Et comment s’y reconnaître ?

Vous y voyez un couple de vieux enfoncés jusqu’au cou dans deux poubelles ; vous pouffez de rire avant de vous inquiéter : ne faut-il pas être un monstre pour se moquer ainsi de la vieillesse ?

Il n’empêche et vous le savez bien, la réalité est encore plus terrible que sa représentation. La réalité, telle quelle, est mortelle. C’est pourquoi les humains rebondissent toujours, ils parlent par-dessus ce qu’ils ont vu, entendu, subi. Ils recouvrent les faits, leurs propres ressentis indicibles par des paroles, des commentaires, des on-dit, qui ont pour effet de la noyer cette réalité en lui faisant des cornes.

Quant à la vie sur l’instant, elle nous fait signe. C’est un point de mire, une flamme, une étincelle, fallacieux ou pas. Qu’importe, l’illusion est souveraine au théâtre. Se laisser bercer par des illusions, n’est-ce pas qu’on y a droit au théâtre.  

Les Personnages de Fin de partie font coïncider leurs battements de cœur avec le silence qu’ils criblent de mots auxquels ils se raccrochent.

Magiques les mots, sûrement puisqu’ils étanchent la peur du noir, du silence.

Magiques comme toutes ces ombres qui conversent entre les murs au théâtre.

Ci-dessous la chronique écrite le 7 mars 2023.

Après Cap au pire en 2017, la Dernière Bande en 2019 et l’Image en 2021, Jacques OSINSKI signe une nouvelle mise d’une pièce de Samuel BECKETT qui serait la préférée de l’auteur.

Le metteur en scène dans sa note d’intention parle de voyage avec Beckett dont il cite cette pensée tirée d’une lettre à Pamela Mitchell : « C’est étrange de se sentir à la fois fort et au bord du gouffre. C’est ce que j’éprouve et j’ignore laquelle de ces deux impressions est fausse : ni l’une ni l’autre probablement ».

Avant de s’engouffrer dans les multiples considérations que peuvent susciter cette pièce en raison de ses thèmes existentiels les plus criants : la solitude, la vieillesse, la mort, la misère, il est possible de considérer tout simplement cette pièce comme un objet théâtral ou bien un vaisseau théâtral destiné de préférence à d’excellents comédiens tels que Denis LAVANT et Frédéric LEIDGENS sans oublier Claudine DELVAUX et Peter BONKE.

 Tout en respectant les desdicalies du texte, Jacques Osinski crée sur le plateau une atmosphère sans artifice où les personnages donnent l’impression de vivre dans un endroit familier et vivant avec des objets signifiants que ce soient les poubelles où sont engoncés jusqu’au cou deux vieillards, l’escabeau, le chien en peluche, le fauteuil à roulettes. Quant au drap qui recouvre en début de scène le paralysé, décrit comme vieux par Beckett, il rutile d’une blancheur qui contraste avec le gris sombre de la pièce à vivre.

Il s’agit donc bien de cela, pièce à vivre et quels en sont donc les occupants ? Hamm un individu paralysé et aveugle, ses parents en fin de vie et Clov son serviteur boiteux. Que font tous ces personnages, ils parlent … Parce qu’ils sont en situation de dépendance, ils sont obligés de se parler ou s’écouter parler, même pour ne rien dire ou quoi que ce soit qui fasse avancer. Une façon de combler le vide, l’absence de véritable communication avec des mots.   

On parle souvent de vide ou de néant à propos des pièces de Beckett mais ce qui frappe pourtant c’est la présence « extraordinaire » des personnages. Je me souviens d’avoir assisté adolescente à une retransmission télévisée de Oh les beaux jours avec Madeleine RENAUD qui interprétait Winnie. Elle crevait l’écran tant elle donnait l’impression de vivre intensément ce qui lui arrivait sans dramatiser la situation tragique, voire effrayante qu’elle subissait.

Cette espèce de fascination, je crois l’avoir retrouvée avec les personnages de Fin de partie, une vision qui s’imprime étrangement dans l’espace comme s’il était encore possible d’entendre converser Hamm et Clov au-delà de la représentation.

Certes il s’agit de situations impossibles, désespérantes, il n’empêche qu’on peut rire et les personnages eux-mêmes se tournent en dérision. Quand le tragique finit par devenir comique. Trop, c’est trop !  Comment lui tordre le cou à ce quotidien « infâme » sinon en le faisant sortir de ses gonds, en se moquant de lui, en lui assignant juste sa place, en le désignant ou en se désignant soi-même. : Toi Hamm, toi Clov, toi le vieux, toi la chaise, toi l’escabeau !

Le fait de désigner opère le hors soi, permet la projection et d’une certaine façon libère. Il importe de convenir de la rotation de ce qui est perçu comme immuable, les instincts de mort et de vie, la jour et la nuit…

La représentation au théâtre opérera toujours ce hors soi, ce pourquoi elle est exigeante, elle requiert l’œil du public ou du metteur en scène, elle est signifiante pour les personnages dans un univers parallèle comme chez Pirandello.

La force des personnages est une révélation. Comment ? Prendre un paralysé aveugle, un boiteux, deux vieillards pour nous parler de l’existence, c’est scandaleux !

Spectateurs, spectatrices, n’ayez crainte, grâce à la mise en scène très inspirée de Jacques OSINSKI qui fait toute confiance à ses interprètes capables de faire retentir tout le poids d’une existence malheureuse avec un indéfinissable clin d’œil de malice, vous ne ressortirez pas tristes ou déprimés.

Tout se passe et c’est probablement une illusion comme si Beckett tel Clov grimpait sur un escabeau et regardant à travers une lunette, s’écriait : Cherchez l’humain !

Le 29 mai 2024

Evelyne Trân

Article également publié dans LE MONDE LIBERTAIRE.FR

N. B : Jacques OSINSKI était l’invité de l’émission DEUX SOUS DE SCENE sur RADIO LIBERTAIRE 89.4 en 2ème partie, le samedi 25 Février 2023.

Interview de Jacques OSINSKI sur Radio libertaire le 25 Février 2023  

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