
Mise en scène : Michel FAVART
Le chef d’œuvre inconnu ? Il s’agit d’une des nouvelles de Balzac les plus connues. Souvenons-nous des émerveillements de Malraux pour qui l’art était la manifestation suprême du génie humain. L’art c’est le plus court chemin de l’homme à l’homme, assurait-il. Quand nous simples spectateurs, spectatrices, admirons une toile d’un maître, oui nous pouvons être saisis par le vertige mais une chose est sûre c’est que nous sommes en quête d’une émotion rare, voire unique.
Alors mettons nous à la place de l’auteur de la toile, c’est ce que fait Balzac en donnant la parole à trois peintres réunis dans un atelier : un jeune débutant, Nicolas Poussin, un peintre reconnu mais académique Porbus, portraitiste du roi Henri IV et un vieux maître Frenhofer (personnage fictif) qui entend régner au-delà de toutes les contingences.
Les déclarations de ce dernier relèvent de la philosophie, en voici un florilège :
La mission de l’art n’est pas de copier la nature mais de l’exprimer.
Tu n’es pas un vil copiste mais un poète ! Nous avons à saisir l’âme, la physionomie des choses et des êtres.
Ni le peintre, ni le poète, ni le sculpteur ne doivent séparer l’effet de la cause qui sont invinciblement l’un dans l’autre.
Porbus et Poussin sont fascinés par ce personnage qui leur parle du portrait qu’il a fait de Catherine Lescault, une belle courtisane appelée La belle Noiseuse, une œuvre quasiment accomplie mais qu’il souhaite comparer à diverses natures.
C’est alors que le jeune Poussin propose à Frenhofer de lui donner comme modèle sa propre femme Gillette.
La façon dont Balzac fait intervenir Gillette au milieu de ces artistes seulement préoccupés par leur art, laisse augurer de son questionnement sur la condition de la femme ici sacrifiée aux desideratas et fantasmes des peintres.
Nous n’en dirons pas plus pour ne pas déflorer l’intérêt de cette nouvelle parfaitement adaptée pour le théâtre.
Catherine AYMERIE, interprète de tous les personnages est fabuleuse. Il ne s’agit pas d’une simple lecture car sa voix suggère une infinité de sensations. Alors même que la mise en scène de Michel FAVART est très sobre, le spectateur a vraiment l’impression de pénétrer dans l’atelier du vieux maître, Quai des Augustins à Paris (situé à deux pas de l’atelier où Picasso peignit Guernica), il s’identifie au jeune Poussin intrigué etc. Mais d’emblée, dès l’apparition de Catherine Aymerie sur scène, il est ébloui par sa présence énigmatique, qui telle Sibylle prophétise le mystère et la folie qui rôde et aboutira – chaque spectateur l’espère – à la révélation de ce chef d’œuvre inconnu.
Ce que nous n’avons pas réussi à saisir par une simple lecture de la nouvelle devient grâce à son incarnation, une évidence : il n’y a pas d’œuvre qui ne soit hantée par la présence de son créateur ou de ses modèles.
Le 13 juin 2023
Evelyne Trân
N.B : Article initialement publié sur le Monde Libertaire.fr :
https://www.monde-libertaire.fr/?articlen=7304&article=Honore_mon_cher_brigadier_!