LA MOUSSON D’ETE 2018 – ECRIRE LE THEATRE AUJOURD’HUI – Brume, éclaircies, orages à l’horizon du Réel – MEEC [Maison Européenne des Écritures Contemporaines] du 23 au 29 Août 2017 – Rencontres théâtrales internationales à l’Abbaye des Prémontrés à Pont-à-Mousson (54700) .

Peut-on imaginer quelques auteurs ou autrices jeter feuille par feuille leurs pièces soit dans le fourneau théâtral, soit plus poétiquement comme des fleurs au-dessus de l’illustre pierre tombale invisible par exemple de Molière.

Au bout du peigne théâtral quelques cheveux morts s’échappent,  dure, dure probablement la condition d’auteur, aujourd’hui.

Qu’attend-on d’un auteur  théâtral ? (Est-il besoin de préciser  ici  que le terme auteur  est générique  et inclut les 2 genres féminin et masculin).  Pense-t-on vraiment que le public fasse cas de l’auteur s’il lui est inconnu. Il vient au théâtre le plus souvent pour se ressourcer, pour s’oublier en s’intéressant à d’autres vies, d’autres horizons que le sien propre.

Les auteurs seraient-ils mandatés par une foule anonyme pour prendre  le pouls de la désolation existentielle ambiante ? Il va de soi que les auteurs invités de la Mousson d’été  sont plus friands d’introspection que de divertissement.

Bien sûr qu’il faut se poser des questions sur le monde, sur l’humain encore divisé en deux parties, la gente masculine et la gente féminine etc… Mais en ne se prenant pas trop au sérieux que diable ! Force est de reconnaître que le péché principal de l’auteur c’est la logorrhée ou le bavardage.  Il donne l’impression parfois de s’écouter parler tandis que le public bien sage comme à l’école soit s’ennuie soit s’endort.

Sans doute, les auteurs respectueux de leur mission humaniste éprouvent  la tentation de la crédibilité et ils croient qu’en relayant les propos des vrais gens, ils sont authentiques, du coup à trop se coller sur la vitre transparente, les voilà atteints de verbiage qui les retient au sol certes mais les alourdit  terriblement.

Faut-il sortir de l’âtre les atermoiements de l’inconscient à l’état de braises ? Peut-on vraiment croire que Shakespeare ou Molière (pour faire court) fassent de l’ombre aux auteurs contemporains  ? Aucune lecture des pièces que nous avons découvertes ne laisse indifférent mais cette prédilection pour le monologue des personnages a pour effet de rabattre la flamme, l’aspect submersif, extérieur des événements dont ils témoignent. Le personnage c’est l’arbre qui cache la forêt mais cette forêt justement, elle doit pouvoir  se faire entendre au théâtre. 

Est-ce à dire que parmi les auteurs ou leurs personnages, certains sont trop intelligents pour se laisser démonter par leurs rêves, leur imagination qui restent pourtant de véritables moyens de défense contre une réalité qui s’impose ou nous est imposée.

Cela dit, la Mousson d’été est un laboratoire, un lieu d’expérimentation. Les auteurs ont tout de même le courage de présenter leurs pièces au stade de l’habillage, en peignoir en quelque sorte.

Et, que le public se rassure, non, le théâtre n’est pas seulement destiné aux grandes tronches intellectuelles, aux grands esprits, il peut s’adresser aussi aux bons vivants et même, cerise sur le gâteau, faire rire tout en faisant réfléchir. Et puis quelques raisins parfument les pièces les plus bourratives.

Voici dont les cerises sur le gâteau :

  • Excusez-nous si nous ne sommes pas morts en mer de Emanuele Aldrovandi (Italie), texte traduit par Federica Matteucci et Olivier Favier, dirigée par Ivica Buljan, avec Alain Fromager, Charlie Nelson, Didier Manuel et Johanna Nizard

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  • Photo Eric Didym
  • L’auteur italien Emanuele ALDROVANDI met en scène un huis clos beaucoup plus barbare que celui de Sartre en racontant la terrible équipée de quatre individus livrés à leur instinct animal « Sauve qui peut » seuls sur un container en bois en pleine mer, à la suite du naufrage de leur bateau.

  • La référence aux barques des migrants et leurs tragédies est évidente. Sauf que les quatre personnages ne font pas figure de gueux, l’un semble être un homme d’affaire véreux, l’autre un journaliste en quête de scoop mais plutôt falot, l’autre une belle jeune femme africaine qui rêve de partir en Australie. Et puis il y a le conducteur de ces migrants qui leur a promis le « paradis ».Cette féroce satire de naufrage de migrants a le mérite de souligner que cela n’arrive pas qu’aux autres d’être pris aux pièges de leurs rêves d’Eldorado. Que nous soyons misérables ou soi-disant civilisés, dans des conditions extrêmes, hélas la bête se réveille et hurle « Mangez-vous les uns les autres » !

  • Nous descendons tous des migrants sinon des baleines ironise Emanuele ALDROVANDI ! Quand l’homme n’aura plus pour seul interlocuteur que la baleine !

  • The writer de Ella Hickson (Angleterre), texte traduit par Dominique Hollier, dirigée par Ramin Gray, avec Quentin Baillot, Charlie Nelson et Julie Pilod

  • photo Eric Didym
  • Dur, dur d’être une autrice dans un monde dominé par le genre masculin ! A-t-on le droit de choisir entre le mot auteure ou celui d’autrice ? Histoire de goût, voilà tout, d’expression sonore et salivaire du mot lui-même, eh oui parce qu’un mot aussi ça se savoure sur la langue !

  • La pièce raconte la difficulté d’être auteure, à vif. L’on sent chez ce personnage d’auteure, une urgence à faire accepter son besoin d’écrire, d’être considérée comme écrivaine à part entière, en se positionnant comme féministe dans ses relations d’une part avec les mâles, d’autre part avec les autres femmes. Il s’agit d’une femme auteure qui se cherche et après tout en tirant le seau du puits, ne finira-t-elle pas par reconnaitre que l’énergie créatrice doit bouillonner dans le pot commun, celui du genre humain.

  • La traversée de Josep Maria Miró (Catalogne), texte traduit par Laurent Gallardo, dirigée par Laurent Vacher, avec Éric Berger, Didier Manuel, Charlie Nelson et Julie Pilod

  • photo Eric Didym
  • Puisant sur sa propre expérience de volontaire dans une ONG en Bosnie, l’auteur dresse le portrait d’une femme engagée, la sœur Cécilia envahie par un vaste sentiment d’impuissance, voire de culpabilité face aux atrocités humaines dont elle est témoin. Résolue à dénoncer son chef religieux qu’elle soupçonne être l’auteur du viol et de l’assassinat d’une petite fille, elle se heurte inévitablement à un mur de silence qui la contraint à quitter ses fonctions puis le voile. Cette femme est incarnée par la comédienne Julie PILOD tout à fait remarquable.

  • La pièce très intense s’attache à exprimer à travers cette femme témoin, le tremblement de terre intérieur qu’elle endure qui suscite la compassion d’un photographe pourtant plus porté à capter les effets spectaculaires d’un événement, ce qui la révolte intimement. La photo qu’il a prise d’elle avec l’enfant mort dans les bras ne sera jamais publiée et la volonté de Cécilia de rendre justice à l’enfant, ne pourra s’exprimer suite au massacre du camp et du présumé auteur du crime juste après son départ. Quand le Mal règne, il ne fait pas dans le détail mais l’attitude de Cécilia, sa résistance morale auront tout de même bouleversé le regard du photographe et se faisant le nôtre face à des événements que nous appréhendons de l’extérieur sans prendre la mesure des fractures de conscience, souterraines qu’ils occasionnent. Cécilia deviendra femme de ménage.Qui pourrait deviner que derrière cet humble habit, elle enveloppe un terrible drame intérieur.

  • La petite fille de Monsieur Linhd’après Philippe Claudel(France), mis en scène par Guy Cassiers, avec Jérôme Kircher à l’espace Montrichard

  • la petite fille de monsieur linh, guy cassiers

    De l’ordre de l’intime, l’est également le spectacle « La petite fille de Monsieur Linh. Il n’y a qu’un seul acteur sur scène pour raconter ce conte à feux doux qui exprime l’inexprimable, l’amitié entre une vieux réfugié et un veuf esseulé. Le comédien sait qu’il n’est pas tout seul, un théâtre d’ombres s’agite derrière lui, ce sont ces propres images relayées en direct par un projecteur.

  • Jérôme KIRCHER parle lentement et doucement. Sa voix est musicale, elle dessine comme au crayon, voire au fusain, ce qui au fur et mesure de l’histoire va permettre aux spectateurs de découvrir la tragique destinée de Monsieur Linh et de sa petite fille. L’intrigue est simple, elle pourrait être résumée en quelques phrases, il ne s’agit que d’un chemin après tout. Le vivre de l’intérieur ou plutôt en se projetant sur le cheminement propre du vieil homme qui réussit à communiquer avec un homme dont il ne parle pas la langue, à qui il fait partager sa passion pour sa petite fille, tout cela relève de l’ineffable, de la grâce. Juste une histoire, deux personnages et pourtant l’infini qui peut s’y propager celui de l’émotion, celui de l’imaginaire.

  • Comme à son accoutumée, la programmation de la mousson d’été est éclectique. Reflète-t-elle une tendance générale à l’introspection, à l’intime plutôt qu’au spectaculaire, allez savoir !

  • A notre sens, les auteurs ont raison de vouloir s’affirmer (cf. débat organisé « La dispute » entre Nathalie Fillion et Pascale Henry) . Des auteurs, il y en a toujours eu, il y en aura toujours parce qu’ils n’ont pas la vocation marchande, ils résistent hors de la loi de l’offre et la demande. Ecrire pour eux c’est une nécessité comme le boire et le manger.

  • Qu’ils tempêtent, s’inquiètent d’un véritable manque de considération, hélas, cela fait partie du parcours de combattant des artistes. Pourquoi ne pas le souligner, un auteur est un artiste comme les autres.

  • Paris, le 30 Août 2018 

  • Evelyne Trân

2 commentaires sur “LA MOUSSON D’ETE 2018 – ECRIRE LE THEATRE AUJOURD’HUI – Brume, éclaircies, orages à l’horizon du Réel – MEEC [Maison Européenne des Écritures Contemporaines] du 23 au 29 Août 2017 – Rencontres théâtrales internationales à l’Abbaye des Prémontrés à Pont-à-Mousson (54700) .

  1. Bravo pour ce papier. D’accord avec vos deux premières cerises. Souligner davantage la part formidable des comédiens dans la réussite de cette manifestation, qui donnent vie à des textes dont c’est le premier passage au plateau. Voir l’intervention de Quentin Baillot dans la rencontre, mise en voix, mise en espace sur théâtre contemporain.net

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    1. Vous avez tout à fait raison de souligner l’ excellence des acteurs et notamment les jeunes recrues qui sortent juste du Conservatoire. Sans l’ implication de ces comédiens, ce festival ne serait pas si vivant et riche d’émotions J ai eu l’ occasion de le dire dans des précédents articles mais j’aurais du le redire Bien cordialement Évelyne Tran

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